L’HISTOIRE EXTRAORDINAIRE D’UN ELEVE CORANIQUE (II).
Notre reporter Fatim DJA-MILA vous a présenté le parcours de Koné Lacina, de Korhogo à l’université AJMAN des Emirats arabes unis. Dans le numéro présent, le 242, vous découvrirez l’ambiance et l’environnement dans lesquels l’étudiant Koné Lacina a fait ses études universitaires jusqu’à son embauche à partir de Londres la capitale britannique pour L’Organisation internationale des satellites à Washington DC aux Etats Unis d’ Amérique.
Saut en longueur et médaille
► SPORT COMME MOYEN DE SUBSISTANCE
A la fin de la première année universitaire à la Faculté de Technologie de l’université dans toutes les matières y compris le sport il enregistre de brillantes notes. Le sport d’ailleurs lui avait apporté beaucoup de gloires mais aussi quelques revenus substantiels pour faire face à ses besoins. Car chez lui en famille le sport après Dieu est une autre religion. C’est ainsi qu’au secondaire il découvre que le sport peut lui apporter aussi des sous dont il a urgemment besoin. En effet, à chaque médaille remportée, il pouvait avoir mille (1000) Dirhams. Il fait donc du basketball, de l’athlétisme. Bon sang ne saurait mentir. Son oncle paternel El Hadj Gaousou KONE, est un sprinter né. Pour Lacina, c’est un modèle et un héros. Son oncle a été le meilleur sprinter en Afrique francophone dans les années 1960. Il s’est révélé en 1963, à l’occasion des Jeux de l’Amitié en se qualifiant pour la finale à l’âge de 17 ans. Une année plus tard, il devient le premier Africain finaliste du 100 m des Jeux olympiques, à Tokyo où il se classe 6e. En 1965, aux premiers Jeux africains de Brazzaville, il est double lauréat des 100 et 200 m. Il est aujourd’hui toujours sur le terrain : il continue encore après plus de 60 ans à entraîner des jeunes athlètes à Abidjan. Aussi en dévalant les pistes d’athlétisme de son école, il pense à son oncle certes, mais il pense aussi à ses études. Et cela lui a parfaitement réussi. Car il finit ses études secondaires sans grandes difficultés financières grâce à ses jambes. Il s’en souviendra lorsque qu’à la fin de la première année universitaire, brusquement l’avenir semble compromis, car il n’a pas eu les promesses sur lesquelles il comptait pour payer ses études. Il passe les vacances dans l’anxiété, la prière, le jeûne et l’espérance. Mais il reste déterminé et confiant en son Seigneur, le Miséricordieux, et le Protecteur des pauvres et des orphelins. Il se renseigne beaucoup sur les possibilités d’obtenir une aide ou une bourse. Il a quelques succès mais insuffisants pour payer sa scolarité malgré un rabais de 10% à cause de son excellent résultat.
►LA RENCONTRE AVEC LE MILLIARDAIRE
Un jour, on lui confirme un rendez-vous avec un richissime homme d’affaire du Golfe et généreux à l’égard des étudiants africains. Il se dit intérieurement : « Cette fois, ça y est ! Mes prières ont été exaucées. » Il fait même ses calculs en pensant qu’avec ce qu’il entrevoit, il pourra payer ses quatre années d’étude et vivre correctement. Le jour j’arrive et, à l’heure H, il est reçu chaleureusement par l’homme qui va le ”sauver” peut-être. La conservation est cordiale, paternelle même. Le vieillard regarde attentivement le dossier de Koné Lacina que son assistant vient de lui apporter. Par trois fois il feuillette le dossier puis s’arrête et pose la question suivante : « Pourquoi après avoir commencé des études de théologie dans votre pays vous avez complètement changé ici pour faire des études laïques ? Est-ce que vraiment l’Afrique et la communauté musulmane ont besoin des études de technologie et d’ingénieurs ? » Koné Lacina a une réponse. Mais il se garde de la révéler à l’homme qui lui apparait comme un traditionnaliste. D’autant plus que sa nouvelle Université avait la réputation, chez certains traditionnalistes, d’être une université pour ‘américaniser’ la société arabe…….Et au même moment il se souvient exactement que ses parents à des milliers de kilomètres de là n’avaient prévu aussi pour lui que trois métiers : Imam, Prédicateur ou Marabout…. Mais tout de même, Il aurait voulu expliquer à son interlocuteur que ce qu’il avait déjà appris dans les sciences coraniques du primaire au secondaire suffisaient à ses yeux pour diffuser l’islam dans sa communauté, d’autant plus que dans la famille, il y avait déjà des imams. Mais il n’en eut pas le temps car son hôte le félicita pour ses résultats scolaires, apposa sa signature sur son dossier qu’il confia immédiatement à l’un de ses conseillers. Son sort était scellé au plan humain et en ce moment précis chez ce milliardaire musulman très attaché aux sciences de l’islam. Cependant Koné Lacina espérait encore une exception de dernière minute dans son cas. Malheureusement pour lui, il apprend finalement de la bouche du conseiller que son chèque était prêt seulement et seulement pour ses quatre années scolaires s’il changeait de faculté ; c’est-à-dire s’inscrire en théologie comme ses parents l’auraient souhaité probablement selon le vieux milliardaire.
►LA DÉCEPTION ET LE DECOURAGEMENT
Malgré l’air hyper climatisé des bureaux luxueux dans lequel il était assis depuis près de 45 minutes, Koné Lacina ressentit une bouffée de chaleur insupportable. En suivant le conseiller dans son bureau, il avait même oublié son cartable chez le maître des lieux. Une fois dehors il s’en souvient. Et au même moment, l’appel à la prière retentit, dans toute la ville. Comme pour lui rappeler Allah, son Seigneur éternel, que rien ne peut perturber. Et la fraîcheur de l’eau des ablutions le reconnecta à son Dieu, son Protecteur et Unique Vrai Pourvoyeur.
►DES AÎNÉS COMME MODÈLES
Deux mois le séparaient encore de la rentrée scolaire. Et il fallait coûte que coûte trouver une solution. Pour lui, dans le pire des cas, il aurait choisi la théologie et faire parallèlement ses études d’ingénieur au besoin par correspondance. En effet, sa conviction était fondée, qu’en apprenant autre chose que la théologie, il pouvait toujours servir la cause de sa communauté donc satisfaire ses parents au plan spirituel. Mais en outre, prouver que l’école coranique peut produire autre chose qu’imam ou marabout. C’était sa conviction, son souhait et ses prières. D’autant plus qu’il y avait déjà quelques cas rares certes, mais réels. Tels les imams FOFANA Boikary, TRAORE Mamadou diplômés d’une université égyptienne cadres supérieurs à la Société Ivoirienne de Banque et surtout de son oncle, l’imam Idriss Koudous, haut cadre au Ministère de l’Economie et des Finances en Côte d’Ivoire. Tous ces imams exerçaient leurs fonctions tout en étant au service de la communauté musulmane comme imams. Et puis, pour le jeune Koné, l’exemple le plus illustre est celui-là même du Prophète de l’islam qui n’était pas théologien : il était en effet berger et commerçant…
►DÉPART DE LA CITÉ UNIVERSITAIRE
En attendant, Koné Lacina décide de faire des boulots de vacance et exercer des emplois à temps partiel durant l’année scolaire. Le pays des Emirats arabes Unis est en plein essor économique, les compagnies étrangères sont de plus en plus présentes. Donc, il y a beaucoup d’opportunités. Mais pour un étudiant, il est normalement interdit de travailler. Il y a donc des risques dans le choix qu’il est contraint d’opérer pour survenir à ses besoins. Mais les risques, depuis son départ du pays natal font désormais partie de son lot quotidien. Il en a l’habitude. Entre temps il faut quitter la cité universitaire, la bibliothèque hyper équipée, les salles de sport à portée de main, les restaurants universitaires toujours approvisionnés mais, aussi et surtout, il allait s’éloigner de ses amis et condisciples avec lesquels il travaillait chaque soir. Si ses amis pouvaient le retenir, ils l’auraient certainement fait, tant il était serviable pour ceux qui avaient quelques problèmes avec les mathématiques et les autres matières. Mais hélas, les moyens financiers de Lacina ne lui permettaient plus de rester en cité qu’il dut quitter par une nuit glaciale de l’hiver désertique pour déménager dans le quartier de Naimiya situé à quelques encablures de son université.
►LA NOUVELLE VIE
Une nouvelle vie commence. Il fallait désormais payer son logement, ses déplacements, ses livres et sa nourriture. Mais surtout faire face aux frais de scolarité très élevés de cette université privée qui lui adresse d’ailleurs quelques jours plus tard une autre lettre de rappel pour créance scolaire due. Lacina ne panique pas car, entretemps, il s’est lié d’amitié avec un commerçant africain qui livre régulièrement des produits tropicaux à des commerçants arabes et indo pakistanais. Dans la transaction, le commerçant africain l’utilise comme interprète avec ses partenaires des Emirats. Sa modération dans la fixation de ses honoraires, sa ponctualité, sa compétence et son honnêteté dans le négoce forcent aussi bien l’admiration de l’africain que celle des arabes. Un jour, par surprise, le commerçant africain lui rend visite à domicile. Il est tout de suite pris de pitié pour le jeune étudiant qui vit dans des conditions à la limite du supportable. Mais pour Lacina, cette situation est encore meilleure que celles qu’il a déjà connues en Egypte et au Maroc. Là-bas, le même sachet de thé LIPTON, il l’utilisait, par souci d’économie, trois fois dans la journée. Et comme viande dans la sauce, c’était soit les abats, soit les pattes de poulets que les habitants du pays ne mangeaient pas…
►ETUDIANT ET COMMERÇANT
Son visiteur, devant la situation matérielle du jeune Koné, lui proposa d’entrer en partenariat avec lui dans ses transactions commerciales. D’emblée, il refusa pour deux raisons fondamentales. Pour rien au monde, il ne voulut abandonner ses études. Deuxièmement, il ne voulut pas apparaitre comme un concurrent potentiel du fait de son intégration relative dans la société émiratie. Mais son hôte insista beaucoup et surtout, lui rappela qu’il voulait tout simplement lui donner une opportunité pour pouvoir payer ses études universitaires. Lacina finit par céder. Mais comment trouver son apport en capital ? Entre temps, il avait pu obtenir une bourse saoudienne grâce à son oncle KONE Abou Dramane qui lui permettait de payer son loyer. En ce qui concerne le repas, il se contentait de manger quand il pouvait. Il fallait survivre pour pouvoir suivre les cours et réussir ses examens et désormais en concomitance avec une carrière de commerçant, une profession, du reste, déjà mentionnée dans son premier passeport. Il se souvient alors que c’est ce mot «’commerçant’ au lieu d”élève coranique’ qui lui a permis d’obtenir le passeport pour pouvoir sortir de son pays à l’âge de 15 ans en tant qu’élève coranique. Et effectivement quelques années plus tard, Koné Lacina est contraint d’exercer effectivement le métier de commerçant pour payer ses études universitaires. Mais le capital dont il a besoin est très élevé. Que faire ? Dans le bus qu’il emmène à l’école, Lacina pense certes, à ses études mais aussi à la prochaine facture qui va bientôt être postée dans sa boite à lettre.
►L’AMI DE CONFIANCE TAHAN
Comme d’habitude, il rejoint son groupe de travail dont il est le spécialiste dans les maths et la physique. Après le travail de groupe, il s’apprête à rejoindre la station de bus quand un ami koweitien d’origine libanaise l’aborde et lui dit’ Ce soir, tu m’as l’air très pensif et contrairement à tes habitudes, tu ne nous as même pas fait rire…. » Lacina n’a pas voulu répondre immédiatement. Car dans ses calculs, il cherche plutôt l’homme qui peut lui prêter l’argent dont il a besoin pour son commerce. Dans son for intérieur il ne voit pas comment un étudiant peut son problème. Il serre la main de son ami et prend son bus. Mais, à peine arrive-t-il chez lui que l’ami l’appelle au téléphone et veut en avoir le cœur net. Lacina lâche finalement le morceau. Et, à sa grande surprise, son ami, après l’avoir écouté, lui dit : « Tu sais, moi mon père met toujours dans mon compte ce qu’il faut pour payer trois semestres….. Demain matin après le cours de math, je te fais le chèque dont tu as besoin. Après, on verra les autres modalités pratiques…» Sous l’effet de la surprise, Lacina dit : « TAHAN, mais comment… » Il ne termina pas sa phrase que son ami raccrocha le téléphone. Bien que content, Koné Lacina a cependant quelques sérieuses appréhensions. Car si la transaction ne marche pas (parce qu’il s’agit de denrées tropicales périssables…) il risque d’avoir sur le dos et la dette de son ami et celle de l’université. Une fois de plus, il y a des risques à prendre. Lacina décide de les prendre tout en se réfugiant dans les prières et le jeûne surérogatoire. Les premières transactions sont une réussite totale. Koné Lacina et son ami koweitien s’en sortent très bien. Mais, vers la fin de la deuxième année scolaire, le marché est envahi par de nouvelles personnes qui chamboulent tout. Fort heureusement, il n’est plus endetté, ni vis-à-vis de son ami ni vis-à-vis de l’université. Cependant, il faut vite penser à d’autres sources de revenus pour préparer la troisième année universitaire.
►LA TROSIÈME ANNÉE UNIVERSITAIRE
Mais avant d’aborder toute épreuve de la vie, Koné Lacina, dans ses prières quotidiennes, n’oublie ni son père ni sa mère dont il n’a plus que de vagues souvenirs. Car, il les a perdus dès son jeune âge. Malgré ses vagues et lointains souvenirs, deux images lui viennent toujours en tête. Celles de son père le jour de la remise de son diplôme de fin de lecture du Coran et, surtout, la parole de sa mère en ces termes : « Baba, tu es désormais mon seul et unique imam. Tu pries avec moi et je prierai toujours pour toi pour ta réussite ici-bas et dans l’au-delà… » Il en a été ainsi jusqu’à la mort de sa mère. Chaque fois qu’Il se rappelle sa mère derrière lui, en étant le petit imam, les larmes envahissent ses yeux. Des larmes bien entendu pour les souvenirs d’une mère qui ne l’a pas vu grandir, mais c’est pour lui aussi, des larmes de détermination à faire face aux obstacles qui se dressent sur son chemin comme les .trois dernières années universitaires. En effet la troisième année de la faculté de technologie est une année académique très importante. C’est là que l’étudiant commence à prendre option pour ce qu’il veut faire. Lacina a l’embarras choix, car il excelle dans toutes les matières. Mais son penchant est de plus en plus vers l’information et les télécommunications. Il a la conviction que le monde sera dominé sinon influencé par l’informatique et les moyens de transmission des données écrites, audio et visuelles. Avec une formation pointue dans ce domaine on peut s’exporter partout, y compris un jour dans son propre pays qui le regarde toujours avec cette tare « congénitale d’élève coranique ». Avec ses revenus issus de la transaction dans les produits tropicaux, et la vente de voiture d’occasions, il entame sans trop de difficultés le premier semestre de la troisième année. Mais le programme est très chargé. Il lui faut certes du boulot, mais désormais c’est un boulot qui doit avoir une plus-value pour ses études d’ingénieur.
► DE LA MANUTENTION A LA MAINTENANCE INFORMATIQUE
Donc c’est avec intérêt et empressement qu’il écoute et répond un soir à un message téléphonique laissé sur son répondeur par la fiancée de l’un de ses amis arabes, elle aussi étudiante dans son université. Ce message est ainsi libellé « Lacina, le salon de la foire internationale de défense aérienne d’Abou Dhabi recherche des étudiants pour un boulot de deux semaines maximum. Comme tu parles plusieurs langues, et que les exposants sont de plusieurs pays, ton profil pourrait les intéresser. Si c’est ok, appelle Madame Virginia Kern ». Lacina est enchanté, malgré la brièveté du temps pour ce boulot. Et comme c’est pendant les congés, il n’y voit aucun inconvénient. Il prend son bus pour Abou Dhabi. Pendant le trajet, il se demande s’il sera à la hauteur de la tâche. Car ce n’est pas une simple traduction. Il s’agit probablement de décrire des équipements électroniques sophistiqués pour des clients professionnels. Mais dès le premier contact, avec son employeur, Lacina est quelque peu déçu car il se rend compte, que c’est plutôt un boulot de manutentionnaire qu’on lui propose.
A-t-il le choix face à ses besoins financiers ?
Il accepte donc à ce qu’on lui propose du sans même discuter du traitement qu’on lui fixe. Il se met au travail. Il déballe les cartons d’équipement, aide les techniciens à tirer le câble des réseaux électrique et informatique. Parfois, il fait de la traduction plutôt entre les travailleurs locaux et les exposants étrangers. Le salon s’apprête à s’ouvrir mais un exposant important à quelques problèmes avec son système informatique. Alors sa patronne se rappelle que Lacina est de l’Université des Sciences et Technologie d’Ajman. Elle l’envoie sans grande conviction chez l’exposant anglais. Après avoir arrangé le problème, Lacina retourne à son boulot de départ, la manutention et quelques traductions par ci par là. Un soir, alors qu’il s’apprêtait à rentrer après une journée harassante, sa patronne lui demande de donner un coup de main au sous-traitant anglais chargé de gérer la base de données principale des visiteurs et des exposants. Il y passe presque la nuit. Il réussit tant et si bien qu’avant l’arrivée des premiers visiteurs du matin tout le système est reparti comme si de rien n’était. Jamais deux sans trois. Quelques jours plus tard, le même sous-traitant anglais pour des raisons de famille est obligé de rentrer d’urgence à Londres. Tout naturellement, il demande à la patronne de Lacina, d’autoriser ce dernier à gérer la base de données générale du salon. Ainsi, du rôle de manutentionnaire KONE Lacina devient en quelques jours un petit patron dans une boîte anglaise, où il gérait près d’une vingtaine d personnes. A la fin du salon, il rejoint son université avec quelques sous seulement, mais surtout avec beaucoup de relations qui vont déterminer la suite de ses études et de sa carrière. Bien qu’ayant des soucis d’argent encore pour payer ses études, Lacina est tout de même heureux d’avoir appliqué en temps réel, ce qu’il apprend en fac. Il voit à peu près les thèmes qu’il pourra traiter pour son projet de diplôme d’ingénieur. Il bouquine, et pose des questions à ses enseignants par rapport à ce qu’il veut faire.
► DU STAGE TEMPORAIRE NON RENUMERE AU CONTRAT DE SOUS TRAITANT PERMANENT
Pour les vacances d’été avant la quatrième année de faculté, Lacina part à Dubai pour un stage non rémunéré à Alpha Data qui est une structure d’informatique de la place. Là, son job consiste à assurer le dépannage des caisses automatisées de caissières utilisées par les supermarchés. Il observe scrupuleusement le mécanisme de fonctionnement surtout les relations d’interface entre l’ordinateur qui enregistre la transaction et la caisse où l’argent (billets et pièces) est interposé. Car à chaque panne, le système est bloqué, et il faut passer la commande en Inde chez les fabricants informaticiens. Et pendant ce temps on passe à un système manuel. Lacina sent ici non seulement une opportunité technologique pour l’ingénieur qu’il sera, mais aussi, une opportunité d’affaires pour l’étudiant démuni qu’il reste encore. Peu à peu, Il transforme sa chambre en Laboratoire. Il se débrouille pour payer les composants électroniques sur le marché noir de Dubai. Il teste ses interfaces fabriquées à domicile. Ça marche. Mais comment convaincre ses patrons, que lui, un nègre, un étudiant stagiaire, peut résoudre un problème technologique dont la solution est toujours venue de l’extérieur. Entre temps, sûr de son monopole, le sous-traitant étranger augmente brutalement ses prix et durcit les conditions de payement. C’est une occasion pour lui. Mais il reste très prudent car les enjeux sont énormes. Puisqu’il avait un bon stock, il propose à son patron seulement que deux interfaces de ses fabrications. Ça ne marche pas aussi bien que celui importé, mais ça permet de faire tourner correctement la caisse. La confiance est établie. Ainsi venu à Alpha Data pour un stage non rémunéré, Lacina à la fin de son stage se retrouve avec un poste de sous-traitant permanent. Il est d’autant plus à l’aise que le thème de son projet final de fin d’études est désormais sur le processus de fabrication de cette interface
► CHOIX ENTRE ETUDES ET ARGENT
Lacina a besoin certes d’argent, Mais, il préfère retourner à ses études et se contenter de fabriquer à la demande, les interfaces dont les super marchés ont besoin. Car, il sait qu’un grand nombre de ses camarades africains étudiants dans les pays arabes après avoir goûté à l’argent de boulots de vacances ont abandonné leurs études. En effet, pendant que les parents les croient aux études dans les pays arabes, ils travaillent dans les champs de tomates des plaines italiennes ou dans les vignobles des campagnes françaises. La plupart finissent par se noyer dans le flot des immigrés sans papier en Europe et en Amérique. Lui, il ne veut pas de « l’argent rapide », il veut plutôt obtenir rapidement ses diplômes. De retour donc de stage de la compagnie Alpha DATA, il se concentre sur son projet de fin d’étude d’ingénieur. Il lui reste encore 24 mois. Après avoir passé plus de dix ans dans cette région du golf arabique.
► QUATRIÈME ET CINQUIÈME ANNEE
La quatrième année à l’université AJMAN est une année très difficile pour Lacina. Pourtant elle avait bien commencé, car avec ses économies des boulots de vacances et les ventes de ses interfaces, il avait pu allégrement payer le premier semestre de la quatrième année. Mais au début du second semestre les mauvaises nouvelles financières s’annoncent. Elles sont de l’ordre de quatre (4) principalement :
Le règlement de ses factures de la compagnie Alpha Data à laquelle il livre ses interfaces, prend un énorme retard ;
- L’assistance informatique qu’il apportait à la compagnie anglaise Fair & Exhibition est de moins en moins sol- licitée.
- Le remboursement de certaines dettes qu’on lui doit est quasiment incertain.
- Et l’aide qu’il recevait d’une institution saoudienne est arrivée à expiration. Tout en prenant les cours du second semestre, il sait qu’au moment de l’examen final, il ne pourra pas composer sans avoir été en règle vis-à-vis de la comptabilité. Il passe les deux premiers examens sans problèmes comme d’habitude. Il lui reste maintenant le troisième et dernier examen de la quatrième année. Nous sommes en juin 1992. Lacina ne reçoit donc plus d’argent ni des Emirats, ni de l’Arabie saoudite, encore moins de son pays, sauf quelques lettres régulières de son oncle l’imam Koné Idriss fonctionnaire au ministère de l’Economie et des Finances.
Ces lettres ont été capitales dans le maintien de son moral pour aborder les difficultés, comme celle qu’il va traverser en cette deuxième moitié du mois de juin 1992, pendant les trois jours que dure l’examen final. Lacina fait partie de la première promotion de la première université privée du Golfe. Pour le département d’ingénierie, il est le major depuis trois ans. Sera-t-il recalé pour des raisons financières alors que partout dans l’université il est admiré pour ses qualités intellectuelles ? Le jour de l’examen, Lacina décide de tenter sa chance. Il se pré- sente à 6 h 45 alors que l’examen démarre à 7 h 45. Il va s’asseoir tout au fond de la classe. Il ne bosse pas, car sur ce plan il a déjà son fait le plein. Par contre il prie et Zikr intérieurement, notamment ”Haz BUN Allahou Wani Amal Wakil” ou ALLAH tu es mon seul et unique soutien. Et se rappelle le contenu des lettres de son oncle imam Kouoous qui se terminaient toujours par; « Quelques soit les circonstances il ne faut jamais désespérer d’ALLAH. Et rappel toi toujours du cas du prophète Ibrahim pour qui le feu dans lequel l’avait jeté ses ennemis, s’est transformé en un endroit agréable pour lui grâce à ALLAH….. » Lacina n’en- tend même pas la sirène qui signale le démarrage bientôt des examens. Le service de sécurité passe pour vérifier la présence des étudiants. Ce n’est pas ce que redoute Lacina. C’est plu- tôt, les contrôleurs de la comptabilité. Ils sont cinq à arriver et chacun à une rangée à contrôler. Lacina ne lève même pas la tête, quand il entend, le seul contrôleur noir lui dire en Dioula” que fais-tu ici alors que tu n’es pas en règle ? Tu me trouves immédiatement dans mon bureau après l’examen…” Le contrôleur était un jeune nigérien youruba né à Bobo-dioulasso, et parlant parfaitement le dioula. Quand les contrôleurs sortent, Lacina soupire mais il doit maintenant se battre sur trois fronts. Réussir l’examen, payer sa scolarité pour sauver sa tête et celle de son sauveur du jour. Dès la sortie de la salle, Lacina fonce à la comptabilité. On lui demande de régler la note avant 17 heures. Son ami Tahan qui a suivi le mouvement a vite compris de quoi il s’agissait quand il a vu la mine et les yeux de son ami. Ils se précipitent ensemble à l’ARAB BANQ de l’avenue principale de la ville d’Ajman, pour retirer l’argent dont Lacina a besoin. 48 heures après, la société Alpha Data, annonce à Lacina que son chèque qu’il attendait est prêt à la Chartered Standard Bank. Après avoir remboursé son ami, et la proclamation des résultats, Lacina décide d’aller accomplir son deuxième pèlerinage à la Mecque.
►PREMIER PÈLERINAGE À LA MECQUE ET LA DERNIÈRE ANNÉE UNIVERSITAIRE
De retour des lieux saints, il entame la cinquième année avec de très bonnes nouvelles. Premièrement, La société Alpha Data lui passe des commandes importantes et la société anglaise Fair & Exhibition lui offre un contrat ferme avant même la fin de ses études. Chaque salon, Lacina est le principal gestionnaire de sa base de données générale. Auparavant, la compagnie était obligée de faire les mises à jour de données à Londres. Mais Lacina a réussi à les faire directement sur place et les connecter à la base centrale de Londres. Il fait même des missions de renforcement pour la compagnie à Londres. Ainsi, avant même la fin de ses études, il a presque un contrat de consultant en poche sur Londres. Il y arrive un après-midi de Juillet 1993 au compte de la société Britannique (Fairs & Exhibitions Ltd.) en business class de la compagnie Emirates Airlines après avoir soutenu dans la matinée son projet final à l’Université d’ Ajman sur le thème « Robotic Control Systems and its Applications. » Mais pour Lacina, Londres ne peut être qu’une escale, une escale pour approfondir ses connaissances. Il s’inscrit à L’université de Brunel au département Génie Electrique -option Data Communications Systems où il décroche un Master sur le thème – « ISDN over Satellite Technology » Car l’Amérique, les Etats Unis, Washington, New York ont toujours fasciné Lacina. C’est pourquoi, il avait tenté, dès après son BAC, d’aller au Canada mais, pour des raisons financières, il avait raté son visa d’entrée en Amérique. Mais voilà qu’un soir dans le laboratoire de physique de l’Université Brunel, il participe à une discussion avec ses camarades anglais, européens d’une offre d’emploi pour jeunes professionnels lancée sur internet par Intelsat. Les étudiants ingénieurs sont invités à postuler pour travailler sur un projet qui doit durer 12 semaines à Washington, dans la capitale fédérale américaine.
Son rêve peut-il se réaliser ?
►LA ROUTE VERS L’AMERIQUE, SON PAYS DE REVE
Aller en Amérique, y travailler même si c’est pour quelques heures, et y retrouver surtout son ami KONE Bakary avec qui il avait commencé sa première année d’ingénieur sept ans plus tôt. Mais, entre le rêve et la réalité il y a un test. Un test qui se passe entre un examinateur assis à Washington et un étudiant devant son écran à Londres. Pour le test, ils sont 275 étudiants.
Le test commence en Mars 1995. Lacina est certes sûr de lui et confiant mais en bon croyant, il fait beaucoup de prières et de jeûne. Il pense à ses deux parents trop tôt disparus mais aussi à tous les orphelins comme lui. Il se prend à rêver et fait même des promesses intérieures. Notamment pour sa grande sœur fonctionnaire au pays qui, malgré ses modestes moyens, s’est toujours décarcassée pour lui. Il se souvient qu’elle lui envoyait régulièrement de l’argent caché dans les journaux quand il était dans la galère au Caire. Et C’est cet argent de sa grande sœur jalousement gardé qui lui a permis de payer son billet en se rendant au Maroc. Si son test marche, tout ce qu’il souhaite, est que la première personne qu’il fera venir aux U.S.A. sera sa sœur… Tout à coup le téléphone sonne. Au bout du fil on lui dit ; « Monsieur Lacina Koné, vous avez un panel de trois ingénieurs du département d’ingénierie de la société Intelsat….Nous allons vous interroger pendant une heure minimum… » L’interview dure une heure et quelques minutes. Lacina répond à toutes les questions. Durant tout le temps on ne lui dit ni oui ni non. Et à la fin, l’examinateur principal, Monsieur louise BRONWICK un brésilien, lui pose la dernière question suivante : « Vous venez seulement pour un job de vacances si le test marche bien sûr. Est-ce que si vous avez une offre pour travailler aux U.S.A., vous accepteriez ? » Lacina (bien que ce soit son rêve secret, il ne veut pas se dévoiler si tôt…) Répond que, pour le moment, il n’y pense pas, car il a déjà une carte de résident permanent en Angleterre et il doit y retourner pour présenter sa thèse finale de Master. Il entend au bout du fil « WAOU ! » Et la phrase suivante qu’il n’oubliera jamais : « Monsieur KONE, vous êtes admis pour le stage. Et votre sujet de thèse intéresse particulièrement Intelsat. On vous envoie demain un mail avec lequel vous vous présenterez à l’ambassade américaine pour un visa diplomatique ». Le professeur Srba Cvetkovic supervisait sa thèse est très enchanté et fier de son étudiant. Car, sur les 275 candidats, seuls trois sont retenus : deux indiens vivant en Amérique et un africain, l’ivoirien KONE Lacina, son étudiant. Lacina se présente à l’ambassade américaine et, sans autres formalités, on lui donne le visa, un visa diplomatique dans le même passeport dans lequel on lui avait refusé un visa ordinaire pour les Usa quelques années plus tôt. En ouvrant son passeport et en regardant les deux pages qui marquent ses deux passages dans les ambassades américaines Lacina poussa un grand soupir et remercia son SEIGNEUR TOUT PUISSANT.
Et le 23 juin 1995 il prend son vol de la compagnie British Airways pour la capitale fédérale américaine Washington DC, via New York. Et suivre son stage de vacances au siège de l’organisation internationale des Satellites (Intelsat)…
A SUIVRE
Par Fatim Djamila