(Ecofin Hebdo) – Dopé par l’émergence de classes sociales aisées, le marché du luxe pèse 5,9 milliards de dollars par an et progresse de 10% en moyenne annuelle en Afrique. De quoi allécher les grandes marques internationales qui se ruent sur le continent pour combler les envies de faste d’une clientèle exigeante et dépensière. Plongée dans l’univers feutré du luxe africain.
En Afrique comme ailleurs, le marché du luxe reste fidèle à sa solide réputation d’imperméabilité aux crises. Alors que les économies africaines buvaient la tasse en 2016, dans le sillage de la vertigineuse dégringolade des cours des matières premières, ce marché a fait mieux que surnager. Selon la dernière édition de l’étude «Africa Wealth Report», publiée par le cabinet de recherche britannique New World Wealth et AfrAsia Bank, le marché africain du luxe a dégagé un chiffre d’affaires de 5,9 milliards de dollars en 2016.
Coralie Omgba, surnommée «la princesse du luxe en Afrique».
Avec un chiffre d’affaires de 2,3 milliards de dollars, l’Afrique du Sud domine ce marché. Le pays le plus industrialisé du continent est talonné par le Kenya (500 millions de dollars) et le Nigeria (400 millions). Avec un chiffre d’affaires de 200 millions de dollars généré par l’industrie du luxe, l’Angola arrive au 4è rang, ex-æquo avec le Maroc, l’Egypte et le Ghana.
En ce qui concerne l’Afrique francophone, outre le Maroc, seule la Côte d’Ivoire se détache», précise Coralie Omgba, la fondatrice de Co-signature.
«Les pays qui se démarquent sont l’Afrique du Sud, mais aussi le Nigeria, le Ghana, le Kenya, l’Angola et Maurice. En ce qui concerne l’Afrique francophone, outre le Maroc, seule la Côte d’Ivoire se détache», précise Coralie Omgba, la fondatrice de Co-signature, une entreprise qui connecte la clientèle africaine fortunée aux marques de luxe à travers le monde, cité par La Tribune Afrique.
Cette ancienne gestionnaire de fortune reconvertie dans l’entrepreneuriat, qui a aussi lancé le site spécialisé Magnates Place, souligne que le marché du luxe sur le continent ne se résume pas aux grandes marques de joaillerie, de cosmétiques ou de haute couture. Il est aussi très présent dans l’hôtellerie de prestige, les vins et spiritueux, la gastronomie, l’automobile, les yachts, les objets de collection, ou encore les services comme la conciergerie de luxe et l’organisation de voyages.
D’après les calculs du cabinet New World Wealth, les grandes fortunes africaines ont flambé environ 8,8 milliards de dollars dans des objets de collection au cours de la dernière décennie.
D’après les calculs du cabinet New World Wealth, les grandes fortunes africaines ont flambé environ 8,8 milliards de dollars dans des objets de collection au cours de la dernière décennie. Ces objets de collection incluent des œuvres d’art, des vins, des voitures classiques, des antiquités, des bijoux et des montres de luxe. A la fin 2016, la valeur totale des ventes des montres de luxe sur le continent a atteint 46 millions de dollars, tandis que cette la valeur globale des œuvres d’art détenues par ultra-riches africains dépassait les 870 millions de dollars.
Une population de fortunés en plein boom
En termes de tendance économique, l’industrie du luxe a toujours fait bande à part puisque sa clientèle cible n’est généralement pas rattrapée par la morosité de la conjoncture. Sur le continent, l’expansion de ce marché est en effet tirée par l’émergence d’une classe moyenne supérieure férue de produits de luxe, et surtout par la hausse continue de la population des High-net-worth individual (HNWI), autrement dit, les personnes détenant un patrimoine d’au moins un million de dollars, hors résidence principale.
L’Afrique comptait à fin 2016 quelque 145 000 individus HNWI, détenant une fortune cumulée de 800 milliards de dollars. Ce chiffre devrait atteindre 254 000 en 2024, ce qui contribuera à favoriser une croissance annuelle moyenne de 10% du marché du luxe à cet horizon.
L’Afrique comptait à fin 2016 quelque 145 000 individus HNWI, détenant une fortune cumulée de 800 milliards de dollars. Ce chiffre devrait atteindre 254 000 en 2024, ce qui contribuera à favoriser une croissance annuelle moyenne de 10% du marché du luxe à cet horizon.
«Le continent africain entre dans le club des régions du monde les plus stratégiques pour la vente d’objet de luxe. Cela s’explique notamment par la croissance de la classe moyenne, l’augmentation des revenus, le développement de l’urbanisation et une présence accrue de millionnaires sur le continent», explique Stéphane Truchi, spécialiste du luxe et président du Directoire de l’Institut français d’opinion publique (Ifop), une entreprise de sondages d’opinion et d’études marketing.
C’est cet énorme potentiel qui a incité Coralie Omgba, à lancer en 2016 la Conférence internationale sur le luxe en Afrique, dont la troisième édition s’est tenue en juin dernier à Genève. Cet événement, premier du genre, réunit chaque année experts, investisseurs et représentants des grandes marques de luxe comme la maison de haute joaillerie Cartier, la prestigieuse maison de champagne Perrier-Jouët & Cie, et l’entreprise horlogère suisse Bucherer.
Les aficionados du luxe africains sont généralement accros au bling bling. En Afrique anglophone, ces consommateurs sont très démonstratifs. Ils utilisent en effet les produits de luxe comme un moyen d’affirmer leur statut social.
En Afrique francophone, les classes aisées adoptent le lifestyle occidental le plus dispendieux, mais se montrent plus discrets afin ne pas susciter des jalousies ou s’exposer aux critiques, comme ce fut le cas récemment pour le vice-président gabonais, Pierre-Claver Maganga Moussavou. Ce responsable politique a été descendu en flammes en juillet dernier à la suite de la divulgation sur les réseaux sociaux d’une facture relative à l’achat, en octobre 2017, d’une Bentley Continental GT pour 158 800 euros.
Les grandes enseignes internationales débarquent
Les Africains dépensent encore près de 80% de leur budget réservé au luxe à l’étranger et contribuent ainsi à la croissance des points de vente en Europe et aux Etats-Unis. Au Royaume-Uni, les Nigérians figurent, bon an mal an, dans le Top 5 des acheteurs des produits détaxés. Mais cela est en train de changer progressivement, avec l’arrivée des grandes marques de luxe sur le continent. Selon une récente étude publiée par le cabinet de recherche, plus de 50 marques spécialisées dans l’industrie de luxe sont déjà implantées en Afrique.
Le groupe Moët Hennessy Louis Vuitton (LVMH), seul
acteur présent simultanément dans cinq secteurs majeurs du luxe (vins
& spiritueux, mode & maroquinerie, parfums & cosmétiques,
montres & joaillerie et distribution sélective), et le groupe
Richemont, qui détient notamment les marques Cartier, Alfred Dunhill et
Chloé, contrôlent cependant 60% des points de vente spécialisés dans les
produits de luxe sur le continent, a-t-on précisé de même source.
Le
cabinet New World Wealth a, quant à lui, recensé 13 marques de
prêt-à-porter de luxe qui ont planté leurs fanions sur le continent,
dont la prestigieuse enseigne italienne Ermenegildo Zegna (Egypte,
Maroc, Nigeria, Afrique du Sud) et la célèbre griffe française Louis
Vuitton (Afrique du Sud, Maroc).
Le constructeur de voitures de sport allemand Porsche a ouvert des concessions dans huit pays du continent : l’Afrique du Sud, le Kenya, l’Égypte, la Tunisie, le Maroc, le Nigeria, l’Angola et l’Ile Maurice.
Le showroom casablancais de Bentley.
Après l’Afrique du Sud, le spécialiste des voitures de luxe a pris pied au Maroc. Son showroom casablancais, qui s’étale sur une superficie de 400 m2, propose l’ensemble de la gamme Bentley, y compris la Bentayga, dernier modèle en date de la marque emblématique aux deux ailes.
Vlisco, une entreprise néerlandaise spécialisée dans le Wax, a ouvert 22 boutiques sur le continent, tandis que la conciergerie de luxe française John Paul opère déjà au Maroc et en Côte d’Ivoire.
«Pour l’instant, les marques qui manifestent le plus d’intérêt pour le continent sont celles qui font dans les vins et spiritueux, la haute joaillerie et à moindre mesure la haute couture (…) Mais on trouve également certaines marques automobiles déjà installées physiquement comme Porsche. Aussi, par l’intermédiaire de distributeurs locaux officiels, les prestigieuses maisons horlogères suisses et grands joailliers sont également représentés sur le continent», résume Coralie Omgba.
Les marques locales s’inspirent d’un héritage ancestral
Alors que les enseignes occidentales s’aventurent de plus en plus sur le continent à la recherche de nouveaux relais de croissance, des marques africaines ont réussi à creuser leur sillon dans l’univers impitoyable de l’industrie du luxe, en s’inspirant des traditions locales.
La Bissau-Guinéenne Vania Leles a créé l’enseigne de joaillerie Vanleles Diamonds.
Ainsi, la Bissau-Guinéenne Vania Leles a créé l’enseigne de joaillerie Vanleles Diamonds à Londres, en s’inspirant des bijoux royaux ancestraux d’une quinzaine de pays d’Afrique subsaharienne qu’elle a visités. Ses plus célèbres collections s’appellent d’ailleurs «Legends Of Africa» et «Discover the Sahara».
Le styliste sud-africain Laduma Ngxokolo a fait une entrée fracassante sur la scène du prêt-à-porter de luxe mondial depuis 2010, en lançant sa marque MaXhosa by Laduma, dont les motifs colorés sont directement inspirés des dessins de l’ethnie Xhosa.
Le styliste sud-africain Laduma Ngxokolo a fait une entrée fracassante sur la scène du prêt-à-porter de luxe mondial depuis 2010, en lançant sa marque MaXhosa by Laduma (photo de UNE), dont les motifs colorés sont directement inspirés des dessins de l’ethnie Xhosa, la deuxième plus grande ethnie d’Afrique du Sud, après celle des Zoulous. Pour chaque collection, qui porte un nom xhosa, ces motifs sont reproduits sur des pulls, des gilets, des étoles ou encore des écharpes à base de laine mérinos, mohair et autres matières locales.
MaXhosa By Laduma, qui a notamment séduit les célèbres chanteuses américaines Beyoncé et Alicia Keys, dispose depuis février 2017 d’une boutique ayant pignon sur rue à Tokyo, dans la chaîne de magasins japonais ultra tendance United Arrows.
Une marque de produits cosmétiques lancée par le nigériane Ozohu Adoh.
Le magasin de luxe londonien Harrods accueille, quant à lui, une boutique d’Epara Skincare, une marque de produits cosmétiques lancée par le nigériane Ozohu Adoh. La base des produits développés par cette marque sont des ingrédients botaniques africains tels que l’huile d’argan, le beurre de karité et l’extrait de racine de réglisse.
Lancée en 2012 par la Franco-Ivoirienne Swaady Martin-Leke, la maison Yswara propose des thés de luxe comportant des ingrédients originaux comme l’igname, la carotte, le safran, et la noix de Kola. Cette marque compte déjà des points de vente en Afrique du Sud, en Côte d’Ivoire, au Nigeria et en France.
Désormais surnommée «la princesse du luxe en Afrique», Coralie Omgba, pense que les marques africaines vont jouer des coudes avec les prestigieuses enseignes internationales durant les prochaines années. «Il y aura vraiment un chassé-croisé entre les marques internationales et les marques locales. Le nouveau consommateur Africain est décomplexé, globe-trotter et ultra-connecté, et en même temps proche de ses racines. Le luxe africain s’inscrit ainsi dans une logique d’interconnexion à la fois régionale, continentale et mondiale», souligne l’experte.
Walid Kéfi