Le 30 avril 1975, les États-Unis évacuaient la capitale sud-vietnamienne dans une indescriptible pagaille : une des plus grandes humiliations de leur histoire.
« Il y a dix ans, j’ai vu les premiers marines débarquant sur la plage de Da Nang, accueillis par de jolies Vietnamiennes en robe de soie blanche qui leur passaient des colliers de fleurs autour du cou. Aujourd’hui, je viens de voir des marines injuriés, griffés, bousculés par des dizaines de Vietnamiennes semblables à celles que j’avais vues en 1965, parce que les soldats les empêchaient de monter dans les derniers hélicoptères du salut. » C’est l’une des dépêches que Peter Arnett, correspondant d’Associated Press à Saïgon et futur Prix Pulitzer, a envoyée le 30 avril 1975 à son agence.
De la chute de Saïgon qui mettait fin à la guerre du Vietnam, c’est d’abord cette image terrible qui restera dans l’histoire : celle de milliers de gens s’accrochant aux grilles de l’ambassade des États-Unis, se bousculant, se piétinant dans les jardins pour trouver le chemin des terrasses où des GI, menacés d’être débordés, canalisaient parfois à coups de crosse les chanceux brandissant leur sauf-conduit. Ce sésame, délivré par une quelconque autorité américaine, leur permettrait de monter dans l’un des derniers hélicoptères qui les arracheraient à un sort tragique : celui que leur promettait la victoire des soldats au casque de latanier et du régime communiste impitoyable qu’ils emportaient dans leur havresac.
Une erreur d’analyse
Cette évacuation, à la fois des Américains qui étaient encore à Saïgon, mais aussi de tous les Vietnamiens qui les avaient aidés de près ou de loin, l’ambassadeur des États-Unis, Graham Martin, contre toute évidence, n’en avait pas vu l’urgence. Et ce, en dépit de l’avancée fulgurante des troupes nord-vietnamiennes depuis la chute de la grande base de Da Nang, le 28 mars. Car l’armée du Nord voulait prendre de vitesse l’arrivée de la mousson qui risquait d’embourber les chars de sa 324e division.
Les Américains ont mal évalué ce forcing. L’opération Frequent Wind qui prévoyait d’évacuer près de 10 000 personnes grâce à un pont aérien de 60 avions a été totalement prise de court quand, le 28 avril, les Nord-Vietnamiens ont commencé à bombarder l’aéroport de Tan Son Nhat. D’abord, avec des pilotes sud-vietnamiens qui s’étaient ralliés à eux. Puis, avec des roquettes de 122 mm qui ont transformé en brasiers plusieurs C130 sur le point de décoller et ont rendu les pistes inutilisables.
Force fut alors de se replier sur « l’option 4 », le plan de secours qui prévoyait l’évacuation par hélicoptère depuis treize points stratégiques de Saïgon, dont l’ambassade. Mais, en dépit des prouesses accomplies par les pilotes, impossible d’exfiltrer tous les candidats vietnamiens au départ.
« C’est fini »
D’où ces scènes qu’on ne peut oublier de grappes de personnes accrochées dans un équilibre précaire à une échelle instable pour tenter d’atteindre la DZ où se posaient les hélicoptères. Ou encore de ces femmes jetant leurs enfants par-dessus les grilles de l’ambassade dans l’espoir que quelqu’un les emmène. Ou, plus dramatique encore, ce lieutenant de police sud-vietnamien qui, voyant qu’il ne pourra pas partir, dit seulement : « C’est fini », fait le salut militaire et se tire une balle dans la tête.
Ce traumatisme d’un départ précipité, honteux, mal maîtrisé, de la superpuissance américaine, chassée par les miliciens d’une armée révolutionnaire du tiers-monde, nul plus qu’Henry Kissinger, le secrétaire d’État de Nixon et de Ford, l’homme qui avait signé les accords de Paris avec le Vietnamien Le Duc Tho, n’en ressentait le remords. Car, comme il l’a déclaré plus tard au Point, il aurait suffi que le Congrès à Washington accepte la rallonge de 770 millions de dollars que le président Ford lui réclamait pour redonner des munitions aux Sud-Vietnamiens. Cela n’aurait pas changé le sort des armes. Cela aurait juste donné le temps à l’armée américaine d’évacuer tous ceux qui devaient l’être. Et peut-être transformé un désastre en retraite honorable.
Source: https://www.lepoint.fr/editos-du-point/michel-colomes/le-jour-ou-saigon-est-tombee-30-04-2015-1925287_55.php