Le marasme et le Covid

 

Toujours soumise aux tentations monétaires et des matières premières, l’activité des champions du continent a reculé pour la deuxième année consécutive, sauf en Afrique de l’ouest.

La crise du Covid-19 a déferlé comme un tsunami sur les économies africaines en 2020 et en 2021. Avant même ce choc exogène, les cham­pions du continent étaient déjà à la peine. C’est ce que montre la nouvelle édition du palmarès des 500 pre­mières entreprises africaines, fondé sur leurs chiffres d’affaires 2019.

Nouveau recul (- 0,98 %) du chiffre d’affaires total des entreprises exprimé en dollars. Et ce après une chute de 2,7 %, déjà, dans le classe­ment précédent. Jouant aux mon­tagnes russes ces dix dernières années, le chiffre d’affaires global des « 500 » a progressé d’à peine 5 % depuis 2009. Quant au pic d’activité de 2012 (757 milliards de dollars), il faudra des années, peut-être une décennie, avant qu’il ne soit égalé.

La nouvelle contre-performance est d’autant plus inquiétante que l’économie du continent avait con j une croissance plutôt robuste. Selon la BAD, le PIB continental a crû e 3,3 % en 2019, dont 3 % pour la seule Afrique subsaharienne. Avec la crise sanitaire, l’Afrique, comme le reste du monde, s’est engluée dans une récession inédite avec une chute du PIB estimée à 2,1 % en 2020. Selon les dernières prévisions de la BAD), le PIB continental devrait toutefois regagner 3,4 % en 2021.

Notre classement montre une nouvelle fois que deux facteurs externes jouent un rôle clé dans l’évolution de l’activité de nos champions, transcrite en devise américaine : le prix des matières premières et les variations de change. Le rand a continué à s’affaiblir. Son cours moyen face au dollar a reculé d’environ 9 % en 2019. Les devises algériennes et maro­caines se sont dépréciées d’environ 2 %, et l’euro, sur lequel est basé le franc CFA, de 5 %. À l’inverse, le naira nigérian est demeuré stable tout au long de l’année, et le cours moyen annuel de la livre égyptienne s’est même apprécié d’environ 5%. Signe du temps. Notre classement compte sept entreprises Égyptienne de plus que l’an dernier, et poids du pays dans le chiffre d’affaires cumulé des 500 passe de 7, 3% à 8,5% avec en chef de file comme l’an dernier le « canal de Suez (15e) et Orascom Construction (44-).

En matière monétaire, quelques pays ont connu des situations hors normes en 2019, comme l’Angola dont la dense, le kwanza. S’est effondrée d’environ 50% face au dollar cette situation explique la forte chute, plus de 40 %, de l’activité libel­lée en dollars de Sonangol (7e. soit un recul de cinq places). Autre grand fac­teur de variation, le prix des matières premières a en 2019.

Du côté de 1 or noir, la valeur du baril WTI (West Texas Intermediate, pétrole de référence à la Bourse de New York) a chuté de plus de 10 %, selon le prix moyen annuel publié par la Banque mondiale. De même source, le coton, l’huile de palme et le café ont légèrement reculé. Le cacao ou le caoutchouc s’affichent en hausse. Tout comme les métaux précieux, or en tête. Le prix du mine­rai de fer a, lui, bondi d’un tiers : une bonne affaire pour la Snim, en Mauritanie, qui gagne onze places (151e).

 

Sortie d’OCP

Dans ce contexte économique contrasté, le top 15 de notre classement représente près de la moitié de la valeur du chiffre d’affaires des 500 premières entreprises et connaît peu de changements. Il comprend néanmoins deux sor­ties : le marocain OCP (18e), affecté par la faiblesse des prix des engrais, et Impérial Holdings. Ce groupe sud-africain s’est scindé en deux sociétés ; Impérial Logistics, dans la logistique (38e), et Motus (17e), dans la distribution automobile. Ces sortants sont remplacés dans le top 15 par deux groupes sud-africains : Anglo American Platinum (10e), qui bénéfi­cie de la vigueur des platinoïdes, et le raffineur et distributeur de carbu­rants Engen (14e), filiale de Petronas.

Quant à l’algérien Sonatrach, il reste notre champion toutes catégo­ries. Comme Sonangol, son activité est affectée par le prix des hydrocar­bures et recule de 4 %. En ce qui concerne les grandes régions, deux zones voient leur poids relatif reculer : l’Afrique centrale (qui passe de 2,25 % à 2,15 % du total des 500) et l’Afrique australe (56,34 %, contre 57,9 %), illustration là encore des désordres monétaires en Angola et de la persistance de l’atonie de l’Afrique du Sud. Le pays présidé par Cyril Ramaphosa n’a connu que 0,2 % de croissance en 2019. Il est désor­mais largement distancé en matière de PIB par le Nigeria mais aussi par l’Égypte.

En dépit de ces difficultés, l’Afrique du Sud demeure toutefois de très loin le pays comptant le plus grand nombre d’entreprises classées (156, soit huit de moins que l’an dernier). Celles-ci pèsent toujours 51,4 % du poids total, mais leur chiffre d’affaires cumulé recule légèrement (- 1,8 %). À l’inverse, l’Afrique de I Ouest améliore son poids relatif de plus d’un point (9,2 %, contre 8,12%) et retrouve un niveau proche de I exer­cice 2015 après une glissade conti­nue depuis cette date. Sur cette zone ouest-africaine, le trio de tête est constitué comme l’an dernier de la filiale nigériane du sud-africain MTN (43e), de Dangote Cernent (58e) et du groupe Sonate ! (73e). À noter aussi que le Maroc, traditionnel second, perd sept champions (54 placés.) et aussi un point de pourcentage à 7,7 % du total 307 sociétés bénéficiaires

Enfin, côté rentabilité, sur 387 entre­prises pour lesquelles nous disposons de données complètes, la marge nette moyenne (y compris les sociétés en perte) s’élève à 5,1 %. Ce chiffre est en net recul comparé aux 7,3 % de l’an dernier. Cela s’explique essentielle­ment car nous avons désormais retiré du classement le secteur financier. Dans ce classement, les entreprises bénéficiaires sont au nombre de 307. Elles ont dégagé au total 38,1 milliards de dollars de profits, dont 24 milliards de dollars pour les 100 entreprises les plus rentables, qui affichent une marge nette de 23 %. La palme du plus gros bénéfice en valeur absolue revient à l’algérien Sonatrach. (3,9 milliards de dollars). Il est suivi du groupe sud-africain Naspers (31e), qui a réa­lisé de significatives plus-values sur la cession de ses parts dans le groupe audiovisuel MultiChoice et dans les boutiques web de l’entreprise indienne Flikpart.

 

Pierre- Olivier Rouaud

Jeune Afrique- N° 3101- 2021, Page 170- 171