Le « miracle économique ivoirien », réalité ou un mirage ?

Le 5 avril, «Le Monde Afrique» publiait un entretien dans lequel le sociologue Francis Akindès relativisait l’éclat du «miracle ivoirien» à l’aune du phénomène des «microbes», ces enfants issus de familles pauvres et désagrégées, errant dans les rues des quartiers défavorisés d’Abidjan en quête d’un larcin à commettre. Si cette réalité ne doit pas être sous-estimée, elle traduit pourtant mal le formidable élan économique et social du pays dans son ensemble. Si la Côte d’Ivoire n’a pas encore inventé le remède miracle contre la pauvreté, l’émergence d’une classe moyenne solide tire incontestablement l’ensemble des couches sociales vers le haut.

Parler de la Côte d’Ivoire et d’un éventuel «miracle ivoirien» n’est jamais aisé. Au-delà des performances économiques, se dresse toujours en contrechamp, le fantôme de la crise politique qui a secoué le pays pendant plus de dix ans, avec son corollaire de blessures mal refermées. Mais il est toujours intéressant de se pencher sur ce qui ressort uniquement des données économiques pour juger en partie de la performance d’une administration.

En effet, les chiffres racontent souvent une autre histoire que celles des gens. Même s’ils peuvent être manipulés, ils sont peu susceptibles d’être sujets aux biais liés à l’émotivité humaine. Que donne cet exercice appliqué au régime Ouattara ? Alors qu’il a hérité d’une économie qui s’était contractée de 4,8% en 2011, le nouveau président a su faire renouer son pays avec une croissance vigoureuse qui a atteint 10,7% en 2016, après avoir flirté avec les 8% durant les années précédentes.

Sur le plan macroéconomique, le déficit du compte courant extérieur est resté à un niveau bas (environ 1% du PIB) en 2016. L’inflation a, quant à elle, été contenue autour de 1%, bénéficiant de la stabilité des prix de la région UEMOA. Dans différents secteurs, cette bonne santé se ressent. Ainsi, la production aurifère a doublé trois ans, passant de 13 tonnes en 2013 à 25 tonnes en 2016. Cette performance est notamment liée à l’adoption d’un nouveau code minier.

Mais c’est peut-être dans l’agriculture que le pays a connu les performances les plus exceptionnelles. La production de cacao a franchi la barre des 2 millions de tonnes, le pays est devenu leader mondial sur l’anacarde dès 2015 avec une production d’un peu plus de 700 000 tonnes et la production cotonnière est passée de 174 889 tonnes en 2010/2011 à 328 145 tonnes en 2016/2017. Quid des retombées de cette croissance pour les agriculteurs ? Les producteurs de cacao ont vu le prix garanti appliqué à leur récolte passer de 725 Fcfa/kg à 1 100 durant la période faste qui s’est achevée au début de la campagne 2016/2017. Et malgré la crise qui secoue le secteur actuellement, ces derniers touchent un prix au producteur de 750 Fcfa/kg. Le prix accordé aux producteurs de coton a également progressé, passant de 175 Fcfa/kg de 2009-2010 à 265 Fcfa en 2016-2017.

Du mieux sur le plan du développement humain

En ce qui concerne les indicateurs relevant du développement humain, l’évaluation de la gouvernance par la Fondation Mo Ibrahim classe la Côte d’Ivoire au 22e rang sur 51 pays africains en 2016, contre une 46e place sur 52 pays en 2011. En ce qui concerne l’environnement des affaires, le rapport Doing Business de la Banque mondiale a indiqué que le pays est passé du 177e rang en 2013 à la 139e place en 2018.

L’énumération des performances enregistrées par le pays pourrait se poursuivre. On pourrait évoquer la politique des grands travaux actuellement menés, la collaboration avec des pays comme le Maroc, qui a déjà donné de beaux fruits, ou encore le poids du pays dans l’économie de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), dont il représente 40% du Produit intérieur brut. Ces chiffres suffisent-ils pour autant à faire de la Côte d’Ivoire un pays de cocagne ? Evidemment non. Comme toutes les nations en développement, la nation éburnéenne est confrontée à des défis. Défis politiques, défis sécuritaires, défis, surtout, liés à la pauvreté.

Inclusivité

Le phénomène des «microbes» n’est pas nouveau. Il constitue en effet un symptôme, parmi d’autres, des inégalités imprégnant la société ivoirienne. De là à y voir le signe d’un «apartheid économique et social» qui sévirait en Côte d’Ivoire, il y a cependant un fossé qu’il semble téméraire de franchir. Le mot «apartheid» vient de l’afrikaans «séparation, mise à part», et caractérise une politique de «développement séparé», or c’est précisément le contraire que met en œuvre le gouvernement, en visant une croissance inclusive et solidaire.

Cela se manifeste de plusieurs façons. En premier lieu, par une prise en charge très concrète des «microbes», à la fois selon des modalités répressives (les désormais fameuses opérations «Epervier», coups de filet permettant d’interpeller plusieurs centaines de ces jeunes en rupture sociale) mais aussi et surtout préventives. Une Cellule de coordination, de suivi et de réinsertion a ainsi été mise en place, avec pour objectif de faciliter la réinsertion sociale de ces enfants. Ses missions sont variées : renforcement de l’éducation civique, incitation à l’entreprise, accompagnement professionnel, détection précoce de la délinquance et des zones à risque, création d’infrastructures sportives et culturelles dans les quartiers, etc.

Francis Akindès déplore l’absence de ruissellement vertical des richesses, et propose de «traiter les causes et l’environnement qui produisent ces enfants dits « microbes »». Mais c’est précisément ce qu’est en train de faire le gouvernement, qui a augmenté le salaire minimum, inchangé depuis 18 ans, de 60 % en 2013, pour le faire passer de 36 000 à 60 000 Fcfa ! C’est ce que fait la Côte d’Ivoire lorsqu’elle décide de passer d’une économie de rente, reposant essentiellement sur la culture du cacao, à une économie de transformation à haute valeur ajoutée, en ouvrant en 2017 la première chocolaterie pour chocolat de pâtisserie du pays, certifiée « équitable » qui plus est.

Ces efforts ne sont pas cosmétiques, ils permettent la structuration d’une classe moyenne robuste et entraînent, mécaniquement, le nivellement par le haut des salaires. Ça ne veut pas dire, bien entendu, que la Côte d’Ivoire en a fini avec la pauvreté (quel pays peut le prétendre ?), mais à tout le moins qu’elle avance dans la bonne direction. La Banque mondiale ne s’y est d’ailleurs pas trompée : en décembre dernier, elle approuvait un crédit, le deuxième d’une série de trois, de l’Association internationale de développement (IDA) d’un montant de 125 millions à destination du pays, «afin de soutenir les efforts entrepris par les autorités pour favoriser une croissance durable et solidaire». Comme un satisfecit.

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