Sur sa monture, accompagné de son plus fidèle compagnon, il parcourt les quelques kilomètres qui lui restent pour atteindre la petite communauté, qui l’attend avec impa- tience. Qui aurait pu soupçonner qu’un homme, dans le finfond de la péninsule arabique, soulèverait tant de fer
veur etrévolutionnerait le calendrier de l’humanité en y ins- crivant des événements que nul n’ignore aujourd’hui. Que la paix et la bénédiction de Dieu s
oient sur lui.
On connaissait l’Hégire comme l’émigration géographique à l’image de l’ensemble de la petite communauté musulmane de la Mecque vers Médine. Cette forme d’émigration, au- jourd’hui, n’a quasiment plus aucun sens à l’heure de l’uniformisation de la culture du monde et de l’insécurité croissante dans les pays dominés.
L’Hégire comme le chemin de celui qui se repent est maintenant ancré dans nos rangs. Cette vision intérieure reprend l’essentiel de ce qu’ont vécu nos prédécesseurs en abandonnant tout ce qui les retenait sur la terre d’adversité et en marchant vers la terre d’accueil. Pourtant, il existe une tout autre émigration, complémentaire, que je souhaitais mettre en lumière. Pour cela, je nous invite à méditer cette histoire qui suit lors de la conquête de la Perse :
« Rostom eut une nouvelle entrevue avec les Musulmans. Sa’d lui envoya Rab’î Ibn ‘Amir. Rostom voulut par cette rencontre intimider les Musulmans : on dressa les tentes, on déplia les tapis luxueux, et on habilla Rostom de vêtements d’apparat : c’est ainsi qu’ils reçurent Rab’î.
Rab’î arriva dans le camp de Rostom à cheval, les cheveux tressés, une épée à la taille, un arc et des flèches sur l’épaule, et il s’appuyait sur une lance. On l’amena à Rostom, et lui qui s’appuyait sur sa lance, transperça tous les coussinset tapis qu’il rencontra sur son passage !
Ils lui demandèrent pourquoi il avait fait cela, à quoi Rab’î répondit : « Dieu nous a envoyés vers vous, avec pour tâche de faire sortir celui qu’Il veut de l’adoration des hommes vers l’adoration du Dieu des hommes, de faire sortir les gens d’une vie d’ici-bas étriquée, vers ce qu’elle offre de mieux, et de faire sortir les gens de l’injustice des autres religions pour les mener vers la justice et l’équité de l’Islam\[…]» »
Cette anecdote est arrachée à son contexte militaire. Mais ce qui nous intéresse c’est la réponse de ce compagnon, qui ne s’est pas laissé intimider par les richesses étalée de manière ostentatoire. La vision du monde qu’il a héritée de l’éducation prophétique englobait le monde d’ici-bas et ne se laissait pas englober par lui.
Aujourd’hui, la vision matérialiste qui a conquis le monde entier, jusqu’au mimbar, est sous tendue par un système de pensée philosophique du positivisme qui a, tel un prédateur, en- vahi toutes les sphères de la vie. Ainsi, Ramzi Saoudi, spécialiste de l’épistémologie et du réformisme dans l’aire arabo-musulmane, explique parmi les raisons de l’échec de Mohamed ‘Abdou dans sa tentative de réforme de la pensée musulmane l’association de celle-ci à un axe positiviste, il cite ici, Lahouari Addi, dans son livre « savoir exogène et savoir endo- gène » : Mohamed ‘Abdou et le courant de la Nahdah « ne semblent pas avoir été conscients que le positivisme qu’il prônait était en contradiction avec la théologie supposée le justi- fier, philosophiquement. C’est-à-dire que le positivisme n’est ni une technique ni une méthodologie, puisqu’il représente un système de pensée philosophique qui n’est pas neutre. Dans le sens où il a formulé ses propres catégories conceptuelles qui organisent sa vision du monde ». Cette dernière est née après la défaite en Europe de la théologie médiévale et de la métaphysique incapables de fournir les fondements épistémiques d’un savoir dit moderne ». (1)