Une famille bigame et un divorce qui auront des conséquences incalculables sur la cohésion de la grande famille de la gauche ivoirienne. L’histoire secrète de la déchirure en cinq tableaux.
Aux origines de la famille élargie.
Pourquoi Laurent Gbagbo entreprend-il de divorcer de Simone Gbagbo après 32 ans de mariage ? Pour des raisons affectives ? Politiques ? Pour tout cela à la fois ? Quel analyste peut raisonnablement répondre à des questions aussi complexes qui relèvent de la sphère privée ?
Une chose est à noter: Laurent Gbagbo est en situation de bigamie depuis de très longues années. Il entame une relation avec Nady Bamba, alors jeune reporter à Africa N°1 (aujourd’hui Africa Radio) dès 1995, soit environ six ans seulement après son mariage avec Simone Gbagbo en 1989. Le couple à trois dure donc depuis 26 ans. Laurent Gbagbo officialise son union avec Nady à la mosquée en 2001. Leur fils, David Al Raïs, naît en 2002.
Les deux se connaissent donc bien. Les trois familles, Gbagbo, Ehivet et Bamba, également. Après près de vingt-cinq ans de bigamie, seul Gbagbo peut expliquer pourquoi il divorce d’avec sa première épouse.
Au demeurant, comme Simone Gbagbo, Nady Bamba n’en est pas moins restée active sur le front politique. Discrète, en arrière-plan mais quand même active. Autour de Laurent Gbagbo, les deux femmes incarnent deux doctrines, deux visions différentes de l’action en politique. Simone Gbagbo, c’est de notoriété publique, c’est la ligne dure, tendance extrême gauche, ultra-nationaliste. Nady Bamba a une approche un peu plus humaniste et pragmatique. Elle a incliné le système Gbagbo vers plus d’ouverture.
Ces deux doctrines se sont confrontées tout le long de la carrière politique de Laurent Gbagbo : Pendant les périodes de boycott actif marquées par l’union sacrée avec le RDR, pendant la transition militaro-civile de 2003, pour la campagne présidentielle de 2010 et la gestion de la crise postélectorale de 2011. Une confrontation permanente avec en partage un point commun : l’intérêt du chef qui tient le clan, Laurent Gbagbo. Les deux ont joué de leur influence, ont agi, mais au final, c’est toujours Laurent Gbagbo qui décide et tranche.
La divergence de vue du bunker en 2011 semble relever de la légende.
Rien n’établit aujourd’hui clairement dans l’histoire de cet épisode douloureux que Laurent Gbagbo ait eu à quelque moment que ce soit l’intention de restituer le pouvoir à Alassane Ouattara.
Zéro contact pendant dix ans
Après leur arrestation le 11 avril 2011 et leur transfert à Odienné et à Korhogo, Laurent et Simone ne se sont parlé pendant dix ans. L’ex-président s’était toujours refusé à échanger directement avec son épouse. Ils ont communiqué toutes ces années, mais par intermédiaires interposés. Il en a été ainsi, jusqu’au 17 juin 2021, à la sortie du SAS du vol SN Brussels, à l’aéroport d’Abidjan.
Déjà, à l’Hôtel du Golf, ils avaient vécu une captivité séparée. Laurent Gbagbo n’avait pas souhaité partager le même pavillon ni le même étage que Simone.
Manifestement la crise entre Laurent et Simone date de bien plus longtemps.
Il y a eu le geste très commenté de l’aéroport le 17 juin 2021 où manifestement Laurent demande à Simone de partir. Mais il faut se souvenir du baiser extorqué par Simone à Laurent le 26 octobre 2000 au palais présidentiel, lors de la cérémonie d’investiture du tout nouveau président.
Clairement, la complicité avait disparu du couple depuis bien longtemps.
Le scénario de la mise à l’écart politique
Selon des sources dignes de foi, la candidature avortée de Laurent Gbagbo à la présidentielle d’octobre 2020 a sa petite histoire. Simone Gbagbo avait nourri l’intention de faire acte de candidature à cette échéance importante. La haute direction du FPI-GOR, menée par Assoa Adou, l’apprend et s’en émeut. En accord avec Laurent Gbagbo, la décision est prise de parer au feu en sortant sur le tard un dossier de candidature au nom de Laurent Gbagbo. Le dossier de candidature est mis en forme dans la précipitation et déposé le lundi 31 août 2020, jour de la clôture des candidatures.
Les mêmes sources établissent, de la même manière, que la liste des six députés EDS (Ensemble pour la démocratie et la souveraineté) pour la circonscription électorale de Yopougon, en vue des élections législatives du 6 mars 2021, a été montée avec la même précipitation. Cette fois, c’est Armand Ouégnin et Michel Gbagbo qui sont envoyés en pompiers sur cette liste. Là encore, Assoa Adou pressentait une candidature possible et même probable de Simone Gbagbo. Abobo, où elle avait un siège de député en 2011 était bouclé par le parti au pouvoir. Yopougon restait un bastion pro-Gbagbo, qu’importe lequel, le mari, l’épouse ou le fils. C’est ce dernier qui s’y est collé et qui a gagné.
Pour la présidentielle comme pour les législatives, l’objectif était clair : Empêcher à tout prix Simone Gbagbo d’avoir un mandat électif qui consoliderait son capital politique et sa légitimité. Cet objectif, le FPI-GOR en a fait un principe dans la bataille désormais ouverte contre l’ex-Première dame.
Depuis la mort de Aboudramane Sangaré, le premier Vice-président du FPI-GOR, le 3 novembre 2018, Simone Gbagbo n’a pas pu se prévaloir de son titre. Alors que la personnalité FPI-GOR la plus haute, après Laurent Gbagbo et Aboudramane Sangaré, c’est elle. Elle en est la deuxième vice-présidente.
Mais au FPI-GOR, on dénie à Simone le droit de se prévaloir de son titre de vice-présidente : D’abord pendant les manifestations conjointes de l’opposition, comme le 14 septembre 2019, où Assoa Adou l’ignore ; on lui retire le droit de recevoir et de réunir des élus ; Enfin, il lui a été demandé de mettre fin aux tournées politiques qu’elle avait démarrées en août 2019 par le centre-ouest.
Le mot d’ordre est clair : mettre à mort, politiquement du moins, la dame de fer.
Que veut faire Gbagbo ?
Selon des analystes qui connaissent bien le FPI, on note pour un retour attendu et scruté, Gbagbo n’a posé aucun acte significativement politique depuis son retour.
Il remet de l’ordre dans ses rapports avec Dieu. Et il règle ses comptes matrimoniaux.
A-t-il l’intention de revenir lui-même, directement sur la scène politique ? Sa santé le lui permettra-t-il ? A-t-il encore la gnac pour reprendre une vie d’opposant après sa présidence, comme Bédié ?
Il se chuchote que Laurent Gbagbo n’envisage plus de jouer un rôle de premier plan. Il veut léguer son nom et son capital politique à ses héritiers fidèles pour poursuivre l’œuvre de reconquête.
Sa succession risque de s’ouvrir plus tôt que prévu.
Que peut-il donc se passer maintenant ?
La bataille est ouverte au sein de la grande famille de la gauche ivoirienne. Elle sera «sanglante». Il s’ensuivra de profonds déchirements et une recomposition.
Premier cas de figure: L’idéal pour Laurent Gbagbo serait de parvenir à récupérer le Front populaire ivoirien (FPI). Peu sûr. Les négociations pour refaire l’unité avec le camp Affi N’Guessan se sont soldées par un échec. Et le processus pour débarquer Simone Gbagbo du train est déjà en marche.
Deuxième cas de figure : Renoncer à la bataille des gauches au sein du FPI. Exfiltrer tous les GOR au sein d’un nouveau parti. Laurent Gbagbo donnerait ainsi sa caution à une nouvelle formation, sans Simone Gbagbo. L’expérience déjà menée avec EDS semble se prêter à cet objectif.
En conséquence, Simone Gbagbo prendrait sa liberté. Créera-t-elle un parti ? Certaines sources le murmurent.
En tout état de cause, Simone Gbagbo a une stratégie mise en œuvre de longue date : Pousser Laurent et le FPI-GOR dans leurs derniers retranchements ; se poser en victime pour capitaliser ; siphonner le cœur des militants FPI et même GOR déçus ; Se positionner en gardienne du projet ultra nationaliste.
Ambitionne-t-elle de faire acte de candidature à la présidentielle de 2025 ? Les mêmes sources le murmurent. Mais 2025, c’est encore bien loin.
Après le divorce matrimonial, le divorce religieux, le temps du divorce politique et clap de fin.
Imane Emi Fatima
Source: https://www.nordsud.info/laurent-et-simone-gbagbo-lhistoire-secrete-de-la-fracture-politique/