Les leçons ivoiriennes des élections américaines

 

La vie politique américaine est dominée et sera dominée pour longtemps encore par le parti républicain et le parti démocrate. Tout comme en Côte d’Ivoire, pour ses vingt dernières années par le PDCI et le RHDP. Tout comme aux USA, les deux partis ont des bases géographiques, sociologiques, et idéologiques bien marquées. Le Rhdp est beaucoup plus un parti urbain et le Pdci un parti beaucoup plus rural. Au sein du Pdci, on a affaire beaucoup plus aux gros paysans, aux fonctionnaires et élites urbaines. Au Rhdp, ce sont plus tôt les professions libérales, les transporteurs, les commerçants et les artisans.

Aux États Unis, le Parti républicain recrute dans le monde rural chez les agriculteurs, chez les ouvriers des régions industrielles et chez les grands capitalistes détenteurs de la grande industrie. Les démocrates recrutent plutôt les noirs, les latinos et les élites blanches des universités, de la Presse ainsi que les jeunes et les nouveaux immigrés. L’ancrage géographique fait par exemple que le Texas vote presque toujours républicain, et toute la Californie vote presque toujours démocrate. Chez nous, le pays Baoulé vote toujours Pdci tandis que le grand nord vote toujours Rhdp après avoir longtemps et toujours voté Pdci. Felix Houphouët Boigny a d’ailleurs eu son premier mandat de député au nord.

Aux USA, les immigrés et personnes de couleur votent en majorité démocrate. Pour certaines raisons de nombreux républicains de base ne regardent pas les autres américains (non républicain) comme de vrais américains, mais plus tôt comme des ²étrangers² parfois. Il en est de même en Côte d’Ivoire, tous ceux qui ont ou qui sont susceptibles d’être victime de la politique de l’ivoirité votent traditionnellement le Rhdp. Tandis que ceux qui se prennent pour les ‘‘vrais ivoiriens’’ votent Pdci.

En général, ces divergences de vue sont vécues paisiblement sauf durant les périodes électorales. Mais surtout quand l’un des candidats joue la carte des différences naturelles dans le peuple. C’est le cas de Donald TRUMP qui en affichant son indifférence aux bavures policières contre les noirs a cristallisé la campagne sur les deux Amériques, celle des blancs et celle des non blancs. Tout comme en Côte d’Ivoire au cours des élections de 2000 et 2010, quand on traitait Alassane de candidat de l’Etranger et Gbagbo de l’enfant du pays.

La comparaison entre les USA et la Côte d’Ivoire va se retrouver même dans l’appréciation que les uns et les autres portent sur le système électoral. Ainsi en 2020, le camp Trump a marqué son manque de confiance dans le système électoral accusé de fraudes et de vote parallèles et illégaux. En Côte d’Ivoire, l’opposition a parlé de manque de confiance dans le listing électoral et de crédibilité de la Commission Electorale Indépendante.

Trump a refusé pendant longtemps de reconnaître sa défaite tout en exigeant le décompte à nouveau dans certaines circonscriptions électorales tout comme Laurent Gbagbo en 2011. De part et d’autre la confiance dans les institutions est à géométrie variable selon les cas. De ce qui précède, les élections américaines doivent inspirer les ivoiriens en général et en particulier les hommes politiques, autour des points suivants :

  1. La polarisation de l’opinion publique autour de certaines questions personnelles est une autre expression de la démocratie, mais elle peut être nuisible à la cohésion nationale ;
  2. Cette polarisation n’est pas donc le fait des citoyens, mais c’est d’abord et avant tout au niveau des hommes politiques désireux de régler en général des comptes personnels;
  3. Le mensonge est un moyen utilisé en politique pour mobiliser ses partisans avec des thèmes populistes ; “America first”, “la Côte d’Ivoire aux ivoiriens” ;
  4. Chaque parti politique et chaque candidat à son fief électoral indéboulonnable. Mais l’homme politique doit chercher à aller au-delà de son fief, pour devenir un vrai homme d’Etat ;
  5. On peut gagner avec son fief seulement. Mais on ne peut pas gouverner durablement qu’avec son fief ;
  6. Croire qu’avec le mensonge, on gagne une élection pour pouvoir gouverner durablement est une utopie ;
  7. Penser qu’à force de mentir, le mensonge devient vérité absolue est un mensonge absolu ;
  8. Croire qu’inoculer l’épidémie de la haine de l’adversaire chez ses partisans, peut être une pandémie au niveau national est illusoire, et de courte durée;
  9. Appliquer le négationnisme sur les réalisations de l’adversaire, ne vous donne pas pour autant un bilan de réalisations positives;
  10. Accepter le compromis fait partie de la stratégie politique à long termiste. Le refuser c’est aller vers l’extrémisme, une politique court termiste, sans lendemain.

En un mot comme en cent, les élections américaines devraient enseigner aux ivoiriens la relativité de la démocratie, de la notion d’humilité, la modération et la recherche effrénée du compromis à tout instant. Notre pays n’est certes pas un pays idéal, mais l’espoir est permis pour devenir ce que nous méritons, si nous restons réalistes, et acceptons nos imperfections que les générations à venir pourront parfaire.

 

 

EDITORIAL
Par Abou Khal Fatim