Les racines coloniales de la politique française à l’égard de l’islam

« Civiliser les musulmans » · Comment comprendre le décalage entre les attentes et besoins des Français musulmans et les orientations politiques gouvernementales ? La gestion de l’islam et du culte musulman par la France durant la période coloniale permet d’apporter une réponse et de mesurer combien la vision de Paris a été forgée par la lecture catholique du fait religieux.

L’expansion coloniale en pays musulmans pousse les gouvernants français à rechercher une politique qui permette la centralisation des décisions en matière de gestion de l’empire, pour régir les différents statuts juridiques faisant relever les pays d’Afrique, puis ceux du Proche-Orient, de divers ministères. Une formule politique tenant compte d’une part du fait religieux musulman — plus tard du fait religieux chrétien —, et d’autre part autorisant la centralisation du pouvoir et des décisions au niveau du gouvernement de la métropole. Une fois la continuité territoriale de l’Afrique du Nord acquise par la certitude d’un protectorat sur le Maroc en 1911, cette politique musulmane se concrétise par la création de différents organismes et institutions qui concerneront à la fois l’organisation et la gestion politique de l’empire mais aussi la gestion des musulmans (émigrés et étudiants) en métropole.

L’ensemble des ministères se trouvait représenté dans ces organismes : la Commission interministérielle des affaires musulmanes, CIAM (1911-1938), le Haut Comité méditerranéen et ses différentes commissions et sous-commissions (HCM, 1935-1939) et le Centre des hautes études d’administration musulmane (Cheam, 1936-2000). Très vite, on y a adjoint des universitaires, spécialistes du monde musulman et du monde arabo-africain, dont les plus célèbres sont Louis Massignon (islamologue, 1883-1962), Robert Montagne (sociologue-politologue arabisant, 1893-1954), Charles-André Julien (historien de l’Afrique du Nord, 1891-1991), Jacques Berque (sociologue, arabisant, 1910-1995) et Vincent Monteil (islamologue et sociologue, arabisant et africanisant, 1913-2005).

Selon les périodes, la mise en place et la pratique de la politique musulmane ont pour fonction première soit de favoriser l’expansion coloniale, soit de maintenir la stabilité politique en Afrique du Nord, clé de voûte de l’empire. C’est une politique assumée de gestion de la religion, perçue comme un fait social total : l’islam est une idéologie de mobilisation et de contestation et un fait sociologique. Il est ahurissant de constater aujourd’hui que cette conception n’a pas changé, alors que les musulmans de France ne sont plus des indigènes, mais des Français depuis plusieurs générations, eu égard à l’installation des premières familles algériennes en France en 1882.

TROIS ÉTAPES D’UNE POLITIQUE

Cette politique musulmane a connu trois grandes phases qui ont combiné différentes stratégies politiques de centralisation ou d’unification. Elles ont donné, en fonction des intérêts nationaux ou internationaux, la priorité à des essais de centralisation régionale nord-africaine (avec la mise en place des conférences nord-africaines) essentiellement centrés sur une collaboration économique ou sur une centralisation régionale méditerranéenne (avec le HCM), doublée d’une centralisation politique avec prise de décisions au niveau de la présidence du conseil des ministres.