L’HISTOIRE DU CHEICK BOIKE SAMASSI DE KELINDJAN
Il est sorti pour cueillir des goyaves, après avoir remué le goyavier, ce sont des mangues qui sont tombées. Telle est la métaphore qui sied au destin miséricordieux et contradictoire du futur nonagénaire Matchê Samassi de Kélindjan. Le père mourant et inquiet souhaitait voir le fils déménagé de Samatiguila pour le campement. Il fallait tout faire pour que la descendance ne soit expropriée de ses terres. C’est la réalisation de ce vœux, cher au père qui sera la genèse d’un phénomène planétaire : le pèlerinage à Kélindjan chez Matchê Boikè Samassi. Comment nous en sommes arrivés là ? Retournons la cassette.
L’histoire commence avec Ladji Tchèkôrô Soaré, un habitant de Samatiguila à la recherche de terre arable. Cette quête le conduira au bord du « Bahwlin » le fleuve rouge. (Ce cour d’eau a une couleur rougeâtre à cause du caractère ferrugineux des roches de la sa source.). C’est alors que naitra le campement Tchèkôrôdougou, avec la bénédiction et permission de Kassou le djamanatigui de l’époque. En terme d’activité champêtre, il ne s’agira que de riziculture dont l’existence sera fonction de la crue ou de l’étiage des fleuves environnants. La sédentarisation ou le nomadisme de Tchêkôrô dans son campement, ou dans le quartier Karamogô Sénila de Samatiguila sera rythmée par les saisons.
Ladji Tchèkôrô aura au début des années 30 un fils qu’il baptisera Aboubakar. Après une enfance à Samatiguila, une adolescence dans les plantations paternelles, sans avoir parachevé sa formation coranique, Aboubakar se lance à la recherche du lucre. Cette pérégrination le conduira au-delà de nos frontières. Le père Ladji Tchêkôrô prenant de l’âge et face au caractère infructueux de ses activités, la conscience du fils l’appelait vers un destin compassionnel vis-à-vis du géniteur mourant. Il fit un retour au village, pour consacrer le restant de sa vie à ne s’occuper que de son père et de sa vie religieuse. Sans autoriser l’étranger que nous sommes à accéder aux détails de cette occupation, toutes les personnes interrogées diront que Aboubakar ou Matchê Boikè était TOUT pour son père. Il n’eut d’ailleurs plus de « vie » à part son dévouement à l’entretien de celui-ci.
Sentant sa mort prochaine, le père exhortera le fils à quitter Samatiguila pour se sédentariser au campement, où l’attendait une « réputation et une grandeur incommensurable ».
Trois ans après la mort du père, il réalisera ce vœu avec l’apparition du dernier de la trilogie : un certain Salim Haidara. Ayant constaté la mort du père auprès duquel il était venu s’instruire, Salim Haidara se « jeta » sans hésité dans les bras du fils. Celui-ci lui offrit un espace à Tchêkôrodougou qui deviendra plus tard Kelindjan. Haidara fit ensuite cette promesse à Boikê : « Le monde viendra solliciter tes bénédictions ici ». C’est alors que le projet et vœu du père qui était la transformation du campement en village sera mijoté dans celui du fils : faire de Kelindjan une aire de prière pour l’expiation des péchés. Mahomet a émigré de la Mecque à Médine, Matchê Boikè a quitté Samatiguila pour Kélindjan, Médine était reparti entre Muhajirun et Ansar, Kelindjan sera l’affaire des dougoutigui (autochtone) et sigui (allochtone).
Si l’expiation des péchés avait cour de manière individuelle depuis le début des années 90, elle deviendra un phénomène formalisé par Ladji Matchê Boikè Samassi à partir du Maoulid 1996. En 2000, le phénomène prendra sa vitesse de croisière. Plusieurs milliers de fidèles convergèrent cette année-là vers l’ancien campement de Ladji Tchêkôrô devenu la nouvelle « Mecque locale ». Tous ces pèlerins y accourent pour jouir des bénédictions de l’homme en espérant une baraka de ses mains. Le 23 décembre 2015, une foule bigarrée de 8000 personnes en quête de chance, bénédiction, faveur, comprenant des ivoiriens de la diaspora, des français, maliens, anglais, guinéens, et une forte délégation marocaine venue au nom du Roi MOHAMED VI ont pris part à cette cérémonie hautement spirituelle.
L’homme fait-il des prières particulières pour ces pécheurs venus implorer le pardon de Dieu par procuration ? a-t-il des mots magiques pour ces femmes recherchant un époux, pour ces chômeurs souhaitant s’extirper de l’oisiveté, pour ces politiciens souhaitant éternellement s’ensabler de prestige ? aucun visiteur de Kélindjan ne pourra le confirmer avec certitude. Une chose est certaine, en posant la main sur ses visiteurs, il ne leur donne qu’un seul conseil : « si ton père et ta mère sont encore en vie, c’est que la bénédiction que tu es venue chercher ici t’attend à la maison ».
Merci aux docteur Issouf Binaté pour sa grande contribution quant à la vulgarisation et la centralisation des informations liées à l’islam en Côte d’Ivoire,
Merci à M. Savané Ladji du quartier Kôgôbèrèlà à Odiénné pour sa franchise.
Prochainement vous parlerons de l’imam Anzoumana Sylla de la grande mosquée de Dougouba à Bouaké (1951 à 1982)