Un hadîth, dûment consigné dans les recueils canoniques (les Sahîh/s), cité à l’envi par ceux qui deviendront les oulémas, fait dire au Prophète que «… les savants sont les héritiers des prophètes, et les prophètes (…) ont laissé comme héritage la science, celui qui la prend aura certes pris la part complète», ou selon une autre version qui ne s’en écarte pas beaucoup, «Car la science est l’héritage des prophètes, et les savants sont leurs héritiers, donc l’amour de la science et des savants est une preuve d’amour de l’héritage des prophètes, et par conséquent détester les savants revient à détester l’héritage des prophètes et leurs héritiers.»
Un autre lui fait dire: «La prophétie restera parmi vous autant qu’Allah le souhaitera, puis Allah y mettra un terme quand Il voudra. Il y aura alors un Califat suivant la voie prophétique, qui vous gouvernera autant qu’Allah le souhaitera, puis Allah y mettra un terme quand Il voudra. Puis viendra une royauté injuste (et dynastique) qui vous gouvernera autant qu’Allah le souhaitera, puis Allah y mettra un terme quand Il voudra. Puis viendra une royauté tyrannique qui vous gouvernera autant qu’Allah le souhaitera, puis Allah y mettra un terme quand Il voudra. Puis viendra alors un Califat suivant la voie prophétique. Puis le Prophète se tut.»
Mais il a fallu trois siècles alentour pour en arriver là, pour que les savants (oulémas) et les dynasties guerrières arrachent, chacun pour son propre compte et dans son domaine propre, son Pouvoir au calife, les oulémas lui prenant son pouvoir spirituel et les dynasties guerrières son pouvoir temporel; et cette double perte s’est joué au même moment, au tournent des IXe-Xe siècles, sous le règne des Abbassides. Elle devait se jouer également selon une suite déréglée de batailles, au sens propre et souvent batailles sanglantes, mais au sens figuré également, au sens de polémiques et autres controverses encore plus souvent violentes.
Mais commençons par le commencement, et comme il arrive toujours en terre d’islam, le commencement commence avec la succession du Prophète, à l’origine du califat.
On peut, pour faire rapide, voire grossier, suivre la dévolution du pouvoir califal selon trois séquences majeures. La première de ces séquences (632- ~833/945) fut celle de la gloire du califat, que j’appellerai le «califat muhammadien» [appellation sur laquelle on reviendra] – c’est ce califat-là qui tisse l’imaginaire d’Abu Bakr al-Baghdâdi et c’est celui-là qu’il prétendait rétablir. Lors de la seconde séquence, (945-1258/chute de Bagdad), sous les coups de boutoir des émirs et des sultans au plan politique, et sous ceux des oulémas au plan religieux, le pouvoir califal perdit de sa superbe, se relativisa pour se réduire finalement à un rituel formel sans nul effet sur la politique ou la religion. La troisième (l’Empire ottoman: 1299-1923) gomme le calife et le pouvoir califal pour lui substituer as-Sultân al -A‘zam (Le Sultan).
Le califat «Muhammadien» ou le plein pouvoir du calife
(Rashidūn-Abbassides: 632 ~ 833-945)
Au commencement donc étaient les califes dits «Bien Guidés»/al khulafâ’ ar-râchidûn (632-661: Abû Bakr, ‘Umar, ‘Uthmân et ‘Ali). Ces califes, parmi les Premiers convertis et les premiers Compagnons du Prophète, de ses proches parents en outre, postulant de leur «intimité» avec le Prophète pour savoir ce qu’il avait signifié, pouvaient à ce titre prétendre faire coïncider en eux le pouvoir temporel, le pouvoir politique du Prophète, et son pouvoir spirituel, le pouvoir religieux, non pas le don prophétique scellé par la mort du Prophète, mais celui de légiférer et d’ordonnancer.
La prise de pouvoir par les Omeyyades en 661, puis par les Abbassides en 750 ne changea pas fondamentalement l’assise de l’autorité califale. La fonction légiférante et ordonnatrice revenait toujours et tout aussi légitimement au calife. Car durant cette longue période,
«… l’institution califale prétend exercer un pouvoir théocratique grâce aux liens privilégiés que son titulaire entretient avec Dieu. Le souverain reçoit une inspiration divine (ra’y, hadîth) qui lui permet d’être le dépositaire du secret divin (amîn Allah) et le guide inspiré (imâm) quasi-infaillible (ma’sûm) [1].
C’est à ce titre que les califes, nommés alors «khalifat Allah»/Calife de Dieu et non «khalifat ar-Rasûl»/ Calife du Prophète comme il est dit et cru, auraient hérité et de l’autorité religieuse et des attributions régaliennes du Prophète [2]. C’est cette sorte de pouvoir califal que j’appelle «muhammadien».
Un pouvoir en partage
Les choses changèrent brutalement entre 833/945/1429-1538. Deux suites pas forcement réglée de raisons et de causes, concomitantes certes mais sans relation de causalité, contribuèrent à la transformation des assises du pouvoir califal pour en faire un pouvoir en partage, avant d’en faire (lors de la 3e séquence) un pouvoir en déshérence.
En partage religieux (politique) avec les oulémas
À la mort du Prophète, la dissémination de la parole prophétique risquait d’entrainer l’émiettement de l’islam lui-même et de son domaine qui se constituait. Dans l’urgence, les premiers califes se lancèrent dans l’entreprise d’unifier cette parole sous l’espèce d’une vulgate qui reçut la sanction de l’écriture en se fixant en un «livre», le Coran. Puis vint le tour des Hadîth/s c’est-à-dire des dires, faits et gestes du Prophète. Or, si la recension coranique fut œuvre califale, la collation des Hadîth/s a été prise en charge par des individus (des Compagnons, des proches) plutôt que par le pouvoir central.
S’il est vrai que depuis longtemps déjà des récits sur le Prophète et ses Grands Compagnons circulaient, ce n’est que vers la fin du VIIIe/début IXe que ces récits et hadîth/s se seraient fixés définitivement et codifiés la forme de leur transmission pour être légitimés et reconnus comme authentiques et, c’est à partir de ce moment-là que les Hadîth/s prirent de l’importance dans l’interprétation du Coran, l’élaboration du droit (fiqh), de la jurisprudence, …; bref c’est à partir de cette canonisation qui les consacrait que les Hadîth/s s’instituraient en texte «sanctifié», indispensable pour comprendre et interpréter le Coran. Les VIIIe-IXe siècles seraient donc ce temps où se précipita l’élaboration de la religion musulmane-sunnite et sa codification. Et qui dit texte, dit interprétation du texte. Aussi, comme son ombre portée, s’est constitué un corps d’oulémas [3], savants versés en la matière et dont la compétence religieuse, leur maîtrise du coran et du Hadîth, leur connaissance des codes herméneutiques des texte saints, Etc., rendaient capables de comprendre et d’interpréter le sens de ces textes, et les rendaient, eux, aptes à gérer la sphère du religieux jusque-là géré par les califes eux-mêmes [4]. Le clash entre ces deux tenants du même savoir indispensable, et concourant pour le même pouvoir de gestion de la scène religieuse, et en-deçà, de la sphère sociale-politique, était inévitable.
Quand bien même ils ne composaient qu’un «corps» informel, les oulémas forts de ce savoir sacré maintenant constitué, entrèrent, pour les matières religieuses, en rivalité avec le calife, lui contestant mezza voce le droit de légiférer sans leur concours, et estimaient qu’ils avaient seuls le droit de hisba; or la hisba [5], pouvoir régalien par excellence, relevait, jusqu’à cette époque, du seul calife, les califes s’estimant avoir une responsabilité particulière devant Dieu, la hisba justifiait leur intervention dans les affaires religieuses. En réclamant le droit de hisba, les oulémas prétendaient appliquer le droit à la place du calife qui était, du coup, destitué de son monopole d’«interprétateur légitime» du texte sacré, ce qui revient à nier que l’application de la Loi fût une prérogative califale et son monopole et qu’elle revenait à qui de droit, en l’occurrence, les savants/oulémas. Si la crise couvait donc – les Abbassides sentirent bien la montée en puissance de l’autorité des oulémas qui rabaissait d’autant le pouvoir califal – elle n’éclata néanmoins que sous al-Ma’mûn (r. 813-833) quand il voulut imposer à la umma, en 832-833, la thèse du «Coran créé» défendue par les Mu‘tazalites [6].
L’entreprise d’al-Ma’mun, appelée al-Mihna, ne fut pas sans susciter l’opposition virulente des milieux traditionalistes, notamment de la majeure partie des oulémas regroupés autour d’Ibn Hanbal, mais aussi de la majorité des sunnites [7], le tout défendant le dogme d’un Coran qadîm awwal/ incréé, «présent avant même le début des temps» comme dira Ibn Hanbal s’appuyant sur une lecture littéraliste du Coran.
Si le règne d’al-Ma’mûn s’avéra constituer un tournant dans l’histoire de dévolution du pouvoir califal, c’est, entre autres raisons, parce qu’il aurait eu pour effet de modifier les termes des rapports de pouvoir califal quant au rapport qu’entretenait le calife avec les oulémas; mais également parce s’est créé, depuis la Mihna, une sorte d’ijmâ’ qui cimenta – et continue – les liens entre le «peuple sunnite» et les oulémas, constituant ce bloc historique [8] en «lieu de la vérité, de la religion et de l’unité», établissant avec la sunna (du Prophète) un lien privilégié qui servira désormais de fond à l’ijmâ’ «savant» des oulémas et leurs fatwa/s. La Mihna en vouant l’entreprise d’al-Ma’mûn à l’échec, précipita la crise et la séparation des pouvoirs dans des termes défavorables au califat. Ses successeurs d’ailleurs non se seulement se rallièrent aux positions du traditionalisme, mais renoncèrent en outre à toute prétention d’interprétation en matière religieuse, pouvoir désormais légué aux seuls oulémas [9].
En partage politique avec les sultans
L’immensité de l’Empire à l’époque abbasside – de l’Afrique du Nord à la Transoxiane, et de l’océan Indien à l’Arménie – rendait difficile l’exercice d’un pouvoir unique et centralisé depuis Bagdad.
En interne – sans parler des contestations khârijite et shi’ite du sein même de l’Empire -, un vaste processus d’autonomisation des provinces et de son corollaire l’affaiblissement du pouvoir central, s’étaient enclenché dès la moitié du IXe siècle et les gouverneurs de province représentaient une menace toujours présente sous les boisseaux d’autant qu’ils disposaient d’armées locales qui échappaient pour la plupart au pouvoir califal. Devant ce pouvoir affaibli plusieurs gouverneurs de provinces, portant le titre d’émir, s’étaient transformés en souverains héréditaires et battaient en brèche le pouvoir califal.
Mais le pouvoir califal ne se discréditait pas seulement en interne; en externe les Omeyyades de Cordoue et les Fatimides (Ifriqiya/Égypte) s’opposaient directement au califat de Bagdad, dont ils contestaient la légitimité.
Ainsi, cahin-caha, le pouvoir abbasside de la suite du IXe siècle se bâtit sur un équilibre fragile et précaire, menacé tant au plan politique que religieux, tant de l’extérieur que de l’intérieur et, fait aggravant, de l’intérieur de la dynastie elle-même puisque l’absence de règle de succession claire était grosse de guerres de succession fratricides.
Mais c’est à partir de 833 pour prendre un symbole et en faire une référence – que les choses politiques commencèrent de se gâter sérieusement, quand le calife al-Mu’taçim (r. 833-842) eut décidé, après qu’il a eu perdu toute confiance en l’armée califale, de fonder une armée nouvelle formée d’esclaves qu’il fit venir des grandes steppes turques : c’est le début du système des Mameluks, dont lui et ses successeurs devinrent les otages, les émirs turcs, ayant pris le contrôle de cette armée nouvelle, empiétaient ouvertement sur le pouvoir califal ; le calife n’ayant plus désormais qu’un pouvoir formel pendant que le pouvoir réel se partageait entre les vizirs (Administration) et les émirs (Armée).
945 devait consacrer cette tendance, lorsque les Bûyides (945-1055) d’abord – des shi’ites de surcroît – puis les Seljukides (1037-1194/milieu du XIe-fin XIIe siècles), un siècle plus tard occupèrent Bagdad, se proclamèrent «Sultan» et se firent déléguer, officiellement, le pouvoir politique du calife, ne lui laissant qu’une autorité religieuse – toute symbolique. 945 marque effectivement la fin du pouvoir temporel du califat abbasside.
Néanmoins, malgré tous ses déboires, l’Empire abbasside, comme tel, tenait le coup et conservait, théoriquement au moins, on intégrité territoriale et son unité politique. Le califat abbasside parvint à maintenir sur ce vaste territoire une certaine autorité califale.
Les choses changèrent du tout au tout quand les Mongols, en 1258, mirent fin au califat abbasside en mettant fin à Bagdad leur capitale. Alors le pouvoir politique passa définitivement aux mains d’autres acteurs, et le califat ne devint plus qu’une vague et même très vague instance spirituelle de référence. A noter que les nouveaux maîtres de l’Empire court-circuitèrent cette vague référence en se faisant aider, en matière religieuse, par les oulémas, si ce n’est en tant que corps social tout au moins à titre individuel.
L’empire Ottoman ou le califat en déshérence
Quand ils prirent le pouvoir, les Ottomans se passèrent royalement du titre de calife lui préférant le leur, as-Sultân al-A‘zam, se faisant aider en matière religieuse par un corps hiérarchisé d’oulémas avec à leur tête Shaykhu-ul-islam. Ce n’est qu’au XIXe que le sultan Abdul Hamid II (r. 1876-1909) reprendra le titre mais il ne le fit que pour le prestige du titre, poussé par des raisons politiques croyant pouvoir rassembler par ce titre, et le panislamisme qu’il lança alors, ce que le déclin de l’Empire et la montée en puissance de l’Europe était en train de lui arracher : un adjuvant donc de sa mumāna‘a impériale plutôt que figure cardinale.
Fin de séquence
Quand Atatürk en 1923 abolit le califat, il ne fit qu’enterrer un cadavre, mais non l’imaginaire de la réunification glorieuse qui attend la umma islâmiyya des sunnites lors de sa restauration. Attente que ne sut pas combler al-Baghdâdi.
[1] Nabil Mouline, «La formation du sunnisme. La consécration d’une orthodoxie musulmane»,
http://www.academia.edu/12941938/La_formation_du_sunnisme_The_Rise_of_Sunnism_, consulté le 19/05/15.
[2] La question est controversée. La Grande Tradition sunnite récuse cette hypothèse, mais le renouvellement des études islamiques conteste à son tour cette Grande Tradition construite deux ou trois siècles après la mort du Prophète pendant que l’islam s’érigeait en empire. Ainsi, après tant d’autres, Christian Décobert (in «L’autorité religieuse aux premiers siècles de l’islam», Archives de Sciences sociales des Religions, n0 125, janvier-mars 2004, pp. 23-44) dément cette Grande Tradition: «… à l’âge formatif de l’islam, (…), seule la figure du calife s’était imposée, celle du chef et guide (imâm) (…) à ceux qui se disaient musulmans. […] L’idée est largement admise, parmi les historiographes anciens et les historiens modernes, que l’institution du califat fut d’abord politique, ou plutôt que l’autorité religieuse du calife n’émergea, et de façon conflictuelle, que dans un second temps. Le pouvoir religieux du chef de la communauté des “vrais croyants” revenait au Prophète Muhammad et se scellait avec lui ; […]»mais, ajoute-t-il, «Contrairement à ce qu’ont prétendu les savants (`ulamâ’) de l’époque abbasside, c’est le titre Khalifat Allâh (Député de Dieu) qui s’imposa en premier lieu pour désigner le calife et ce n’est qu’ensuite que vint le titre Khalifat Rasûl Allâh (Député du Messager de Dieu). L’expression Khalifat Allâh est attestée pour tous les Omeyyades, comme pour les califes “bien guidés”, et par des sources multiples (les poètes, les traditionnistes eux-mêmes, les premiers historiens arabes), de même que par la documentation archéologique. […] Certes, il y a la fameuse réticence attribuée à Abû Bakr al-Siddîq, le premier des califes : lorsque les gens de son entourage l’appelaient “Député de Dieu (Khalîfat Allâh)”, il signifiait de ne pas le nommer ainsi mais plutôt “Successeur du Prophète (Khalifat Rasûl Allâh)”, ajoutant que ce titre le satisfaisait pleinement et signifiant que sa fonction n’avait rien d’une hypostase. Sur l’argument de cette phrase, les `ulamâ’ des IIIe et surtout IVe siècles de l’islam (IXe-Xe siècles) soutinrent qu’il y avait eu une invention [bid‘a] omeyyade, une innovation blâmable. Il reste que le propos d’Abû Bakr a les caractéristiques d’une tradition apocryphe : tout à fait isolé, il est rapporté par une seule source, qui n’est pas antérieure au début du VIIIe siècle (un siècle après le califat d’Abû Bakr, 632-634). » Référence électronique : http://assr.revues.org/1032 ; DOI : 10.4000/assr.1032, consulté le 30 septembre 2016.
[3] Par «corps» il ne faut pas entendre un corps formellement constitué ou même institutionnalisé mais un «corps» informel qui a fonctionné – et continue de le faire – sous forme de «réseaux d’influence et d’affinités doctrinales ou théologiques». Ils ne formèrent un «corps institutionnalisé» que sous les Ottomans, par décret impérial, avec pour charge d’ordonnancer le quotidien de la vie, au prorata des besoins du pouvoir central.
[4] Tout donne à penser que les premiers califes, des Bien Guidés aux Abbassides du IXe siècle, étaient versés en matière coranique. Pour ne donner qu’un exemple, et tardif, celui d’al-Ma’mûn, fils de Hârûn ar-Rashîd), « [il] reçut (…) en matière de sciences religieuses, une formation en hadîth (et devint lui-même transmetteur) et en fiqh (…) où il excella en jurisprudence hanafite. » Cf. pour plus de détails, M. Rekaya, « al-Ma’mūn », Encyclopédie de l’Islam, Brill Online, 2012.
http://referenceworks.brillonline.com/entries/encyclopedie-de-l-islam/al-mamun-SIM_4889.
[5] « al amr bi-l ma‘rûf wa-n nahy ‘an al munkar», l’obligation d’ordonner le bien et d’interdire le mal. La hisba était une obligation collective et non individuelle, qui doit être à ce titre appliquée par toute la umma dont le calife lui-même.
[6] Au prétexte que la grande masse de la umma – qui ne possède pas la lumière de la connaissance comme le calife -, se trompe quand elle épouse la thèse selon laquelle le Coran est qadîm awwal, prééternel/incréé, car Dieu a dit dans le Coran (43, 3) : « Nous en avons fait (j̲a‘alnāhu) un Coran arabe », et tout ce qu’Il a fait (j̲a‘ala), Il l’a créé (k̲h̲alaqa), al-Ma’mûn voulut imposer la thèse mu‘tazalite du « Coran créé ». Pour plus de détails, cf. at-Ṭabarī, III/1112 et sv., ou Encyclopédie de l’Islam, article « Mihna », Brill Online, http://referenceworks.brillonline.com/entries/encyclopedie-de-l-islam/mihna-COM_0732, consulté le 25/04/2012.
[7] La thèse califale du «Coran créé», soutenue par les Mu‘tazalites et défendue par al-Ma’mûn, par trop «élitiste» par ses finesses intellectuelles et son argumentaire d’autorité, ne réussit pas à mobiliser le «peuple sunnite» qui la rejeta, d’autant que cet «élitisme intellectuel» était souligné en abîme par l’« élitisme » de leur train de vie « aristocratique » qui allait à l’encontre des us et coutumes populaires indexés sur le train de vie du Prophète, ou tout aussi loin des symboles et idéaux du califat « bien dirigé » véhiculés par les oulémas depuis plusieurs décennies.
[8] C’est ce bloc historique sous le signe de l’ijmâ‘ qu’ignora Abu Bakr al-Baghdâdi quand il proclama intempestivement son califat. Concept gramscien par excellence mais non formellement défini par son auteur, absence qui n’a pas manqué de multiplier les définitions.
De toutes celles offertes au choix, je collationne celle qui sert mon propos, à savoir, qu’un bloc historique se constitue par une alliance organique entre un certain nombre de forces sociales, en l’occurrence les masses sunnites (comme «Peuple») et les oulémas (comme intellectuels organiques), qui ont réussi à l’occasion de la bataille de la Mihna à prendre la direction religieuse, morale et intellectuelle du peuple sunnite, piédestal de leur conquête du pouvoir, ici religieux (sans oublier ses prolongement politiques), étant entendu que cette alliance est en rapport d’unité dialectique, faite donc d’histoire et donc de divergences, de contradictions, voire, parfois, de luttes, et qu/enfin c’est un rapport asymétrique la balance penchant du côté des oulémas.