Pourquoi va-t-on à l’école ?

 

Etats généraux de l’Education nationale : Pourquoi va-t-on à l’école ?

 Le ministère de l’éducation nationale et de l’alphabétisation a procédé, le lundi 19 juillet 2021, au lancement officiel des Etats Généraux de l’école ivoirienne, comme l’avait annoncé la Ministre Mariatou KONE à sa prise de fonction. Une initiative qui témoigne de ce que l’Ecole ivoirienne ne se porte pas du tout bien depuis ces dernières décennies. Une bonne initiative à saluer et donc à accompagner par tous. Les réflexions vont se dérouler sur six (6) mois, selon les organisateurs. Un temps raisonnablement suffisant pour pouvoir faire un diagnostic pro­fond et complet du système, au tra­vers de consultations et d’écoute de tous les acteurs et usagers de l’Ecole. Pour recueillir des observations et propositions qui serviront d’outils d’aide a décision pour la renaissance de L’institution Ecole en Côte d’Ivoire. Au Passage il faut déjà souhaiter que ces Etats Généraux ne soient pas les états généreux, une foire à buffets et à commissions financières, pour par­ticipation ou pour simple présence, Qu’ils ne soient pas à l’image des nombreux séminaires, ateliers et au­tres rencontres de ce genre qu’on a l’habitude d’organiser, au nom et aux frais du contribuable, dont, pour la plupart, on n’a jamais vu les conclu­sions ou résolutions. Et même si celles-ci existent, elles ne sont jamais traduites en actes pour le bien de la société.

J’ai écouté et réécouté les discours des différents intervenants à cette cé­rémonie de lancement officiel. Tout est, disons, vrai et bien dit. Mais, à mon humble avis, je voudrais juste dire, que le mal originel dont souffre l’Ecole ivoirienne est moins d’ordre matériel, logistique ou infra structurel. Il ne se pose pas seulement en termes de nombre de salles de classe ou d’établissements disponi­bles. On a beau construit mille et une salles de classe, on a beau construit des centaines ou des milliers d’éta­blissements, on a beau offert une salle de classe entière à chaque élève…, cela ne garantit point la qualité de son rendement, et donc pas celle de l’École.

Le problème de l’Ecole ivoirienne (comme d’ailleurs dans presque tous les pays de l’Afrique, malheureuse­ment est beaucoup plus de l’ordre de valeurs morales et citoyennes. Et il appelle à nous interroger sur l’objectif originel ou existentiel de l’Ecole. Pourquoi on va à l’École ?

L’opinion générale, sinon une certaine, se nourrit de l’idée que l’on va à l’Ecole pour pouvoir manger de­main, c’est-à-dire juste pour avoir un diplôme ou un titre qualificatif qui permettra d’avoir un gros poste, être dans un grand et joli bureau, bien cli­matisé, et avoir beaucoup d’argent. Cette dommageable conception de l’École ramène ainsi le rôle et l’objec­tif existentiel de cette dernière au ventre, à conjuguer le verbe « manger’ à tous les modes et temps.

C’est là que gît réellement le mal pro­fond de l’Ecole en Côte d’Ivoire. Et c’est ce que j’appelle la conception de l’école du ventre. Une conception hé­ritée de l’idéologie de l’école coloniale française, dont le but, selon le Profes­seur Makhily GASSAMA, « n’était pas de former le futur homme Africain, mais le serviteur » du maître qui lui donnerait le reste de sa table en re­tour. Et comme nous les Africains avons ce don de copier-coller systé­matiquement, de mauvaise manière, à contre-courant et avec gourmandise, tout ce qui vient de l’Occident, au détriment de nos valeurs et réalités endogènes non prises en compte, le mal n’a fait qu’empirer. Et il continuera d’empirer si on ne s’engage pas véritablement à l’exorciser à la source.

Non, s’il vous plait, on ne va pas allés à l’Ecole. Mais ils ne sont pas morts de faim. Ils ont vécu en mangeant à leur faim, sans être allés à l’Ecole. Et ils sont partis de leur vie, en laissant quelque chose d’utile, au moins au plan moral, à la commu­nauté dans laquelle ils ont vécu. C’est dire qu’on ne va pas à l’École juste pour manger de ses quatre membres, juste pour son ventre.

L’École pour améliorer les conditions de vie de sa communauté, et donc de ses concitoyens. Autre­ment dit, on va à l’École pour être un Citoyen. Citoyen veut dire « utile à la cité, à la société. Lorsqu’un ensei­gnant voit un de ses élèves devenu médecin, par exemple, il est content et fier de lui-même. Parce qu’il a servi à forger positivement la condition so­ciale d’un individu. Qui, à son tour, va améliorer celles des autres, va sauver des vies humaines.

Sans vouloir indexer nul corps profes­sionnel. Le médecin ou l’infirmier, à qui on a appris qu’il est allé à l’École pour être utile à la société, cherchera d’abord à sauver la vie du patient, avant de lui exiger un quelconque montant à payer – qui ne va même pas dans les caisses au contribuable, ‘enseignant ou l’éducateur, qui sait qu’il est allé à l’École pour être utile à la société, ne cherchera pas de strata­gème pour soutirer le moindre sou à un élève ou à un parent d’élève. L’exa­minateur n’exigera aucun centime de franc à un candidat pour faire son tra­vail pour lequel il est allé à l’École.

Le magistrat, à qui on a appris que le sens et le but final de l’Ecole qui l’a formé, c’est d’être utile à la société et non pour son ventre, ne doit pas in­terpréter la loi selon lui ou prendre une quelconque décision dans son in­térêt personnel, pour avoir une pro­motion ou pour protéger son poste. Etc.

 

Malheureusement, dans nos sociétés d’aujourd’hui- la Côte d’Ivoire en l’espèce, puisque c’est d’elle qu’on parle – depuis quelques décennies, parce qu’on nous nourrit ou on se nourrit de l’idée qu’on va à l’Ecole pour son ventre, on use de tous les moyens et de tous les stratagèmes possibles pour arriver à ses fins. Je peux tricher, vendre ou acheter une admission à un examen ou à un concours. Le plus Important, c’est d’avoir l’emploi ou le poste que je vise. Dans tous les cas, une fois en fonction, je rattraperai, par toutes les voies illégales et amorales possibles, tout ce que j’ai payé, et même plus, pour obtenir l’emploi ou le poste. Alors, place à la corruption, aux chan­tages aux abus de pouvoir et de déci­sion, aux malversations et autres pratiques illicites ! Une décomposi­tion morale de la société. Dans tous ses compartiments. Du plus haut au plus bas.

Un mal moral et citoyen du corps so­cial ivoirien qui date de plusieurs an­nées. Une grosse et profonde plaie morale dont l’Ecole a servi et sert en­core de berceau. Et qui, malheureuse­ment, a survécu et continue de survivre aux mentalités et habitudes de la vie quotidienne en Côte d’Ivoire, malgré la succession des différentes gouvernances politiques à la tête du pays ces trois dernières décennies. Je veux, modestement et humble­ment, en tant que parent d’élève aussi, proposer que la naissance de la nouvelle l’Ecole ivoirienne, à laquelle s’est engagée l’actuelle Ministre de l’Éducation Nationale, à travers ces États Généraux, soit profondément pensée, réfléchie et solidement construite sur la base de cette valeur morale et citoyenne. Qui restaure et met en avant le sens, existentiel et l’objectif originel de l’École.

Cette valeur morale et citoyenne qui instruit, dans le fonctionnement de l’École, à la qualité et à la perfor­mance du rendement – de rensei­gnant et de l’apprenant -, et à la valorisation du mérite dans le corps social : Inculquer dans tous les esprits – à commencer par celui des appre­nants, dès le bas-âge, dès le début du processus éducatif – qu’on va à l’Ecole pour être, demain, utile à la société ; pour se mettre au service de ses compatriotes, pour améliorer leurs conditions de vie. Et non pour se servir, pour avoir beaucoup d’argent ou pour être riche, par tous (les moyens et stra­tagèmes immondes possibles.

En dehors de cette valeur, tous les au­tres mécanismes de solutions peu­vent ne pas produire efficacement et de manière efficiente le résultat sou­haité pour la société : redonner à l’institution École ivoirienne sa crédi­bilité et sa notoriété. Une Ecole ci­toyenne. C’est vrai, vu l’état actuel de décom­position du système, le processus de réhabilitation de l’Ecole ivoirienne dans ses lettres de noblesse va nécessiter du temps, ne peut que se faire progressivement. Mais si l’on ne saisit pas l’occasion de ces Etats Généraux, avec la participation de toutes les In­telligences du pays, de tous les bords, pour construire et asseoir la renais­sance de cette École sur cette base morale et citoyenne, il faut craindre qu’elle retombe, ou même se main­tienne, dans les revers et travers dé­noncés aujourd’hui et qu’on veut combattre.

Et en dehors de cette assise morale et citoyenne, nous continuerons d’être dans une société ivoirienne où on aura, non pas seulement des mi­crobes aux machettes et couteaux dans nos ruelles en train de découper des personnes pour leur arracher leurs fonds de commerce et de subsis­tance. Mais aussi des microbes aux stylos dans nos administrations et services, publics comme privés, en train de couper les fonds publics pour leurs seuls intérêts. Parce qu’on nous aura nourris ou on se sera nourri de l’idée qu’on va à l’école pour manger, pour son ventre.

 

Agnero djédjé sylvain

Ivoire hebdo N°046 du 27 juillet 2021