Quatre mesures pour inventer une fiscalité africaine post-Covid

Taxe foncière, TVA agricole, agence de recettes fiscales : voilà quelques-unes des idées fortes pour bâtir une politique fiscale africaine moderne que défendent les économistes Rabah Arezki (BAD) et Grégoire Rota-Graziosi (Cerdi).

À la fin de la Première Guerre mondiale, Schumpeter a présenté les systèmes fiscaux des États comme l’expression du « tonnerre de l’histoire » afin de souligner combien ces derniers sont façonnés par les guerres, révolutions ou catastrophes.

La lutte contre le Covid-19, en provoquant d’importantes dépenses publiques et en réaffirmant la nécessité d’une administration efficace, offre une occasion unique de renouveler le « contrat social » entre États et citoyens autour de l’impôt.

Alors que le débat porte largement sur la création et les modalités d’un impôt sur la fortune dans les économies développées, il doit être tout autre sur le continent, centré sur l’objectif d’une plus grande efficacité ainsi que d’une meilleure transparence, y compris dans le secteur des ressources naturelles.

LA TAXATION DEVRAIT CIBLER PRIORITAIREMENT LES HYPER-CENTRES URBAINS

Une politique fiscale africaine moderne doit également contribuer à l’effort de reprise tout en encourageant les investissements. Pour ce faire, quatre mesures sont indispensables.

1- Créer une taxation foncière

Une décision pragmatique consisterait à instaurer une fiscalité foncière effective, qui fait trop souvent défaut en Afrique. Pour rappel, les recettes générées par l’impôt foncier représentent 3 à 4 % du PIB en France et aux États-Unis alors qu’elles sont très modestes voire inexistantes sur le continent (moins de 1 % du PIB).

La taxation devrait cibler prioritairement les hyper-centres urbains des grandes capitales du continent, où le prix du mètre carré n’a rien à envier à celui des autres grandes métropoles dans le monde. Kigali et Accra ont instauré une telle réforme qui recourt notamment aux techniques de géolocalisation des propriétés pour l’adressage. Mais on peut aller encore plus loin avec l’utilisation de blockchains pour les transactions immobilières, comme c’est le cas en Suède, ce qui permet de sécuriser les droits de propriété et d’accélérer les transactions.

2 – Concevoir des taxes simples à administrer

La mise en œuvre concrète de la taxation doit être une priorité, avant même la question du taux d’imposition appliqué. C’est encore loin d’être le cas, conduisant à des pertes importantes de recettes fiscales. Il convient donc de mettre fin à la fragmentation du pouvoir fiscal entre les ministères mais aussi au manque de coopération avec les douanes, qui demeurent souvent le principal collecteur.

L’ÉVALUATION ET LA PUBLICATION DES DÉPENSES FISCALES DOIT DEVENIR SYSTÉMATIQUE

Suivant l’exemple du monde anglophone, plusieurs pays africains, Burundi et Togo notamment, ont créé une agence de recettes. L’initiative va dans le bon sens en réunissant administrations fiscale et douanière dans une seule organisation mais elle n’est pas suffisante sans une politique fiscale adéquate décidée au ministère des Finances.

En complément et pour améliorer la transparence, l’évaluation et la publication des dépenses fiscales en annexe des lois de finance doit devenir systématique comme au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) où une décision de 2015 l’impose à ses membres.

3 – Limiter drastiquement les exonérations

Il y a un risque que l’ère post-Covid conduise à la prolifération de régimes fiscaux dérogatoires afin de favoriser la reprise économique. Il faut résister à cette tentation sous peine de complexifier davantage des régimes déjà peu lisibles et de tomber dans un engrenage consistant à accorder des dérogations à certaines entreprises, puis à leurs sous-traitants puis aux sous-traitants des sous-traitants… Pour éviter cet écueil, il est primordial de restreindre les exemptions via notamment une définition stricte des entreprises sous-traitantes éligibles.

Les exonérations doivent même être bannies lorsqu’il est question de l’impôt sur les sociétés : non seulement la mesure favorise les entreprises les plus profitables sans garantir la survie de celles qui sont en difficulté mais, en outre, elle conduit les entreprises à ne rien déclarer rendant les administrations aveugles. Pour cette raison, les crédits d’impôt devraient être systématiquement préférés aux exonérations fiscales.

4 – Utiliser la fiscalité à des fins industrielles

Ces dernières années, la politique fiscale de la Chine a été un instrument de sa politique industrielle, les remboursements de taxe sur la valeur ajoutée incitant les entreprises productrices de matières premières à cesser d’exporter pour transformer localement. Les pays africains, qui doivent construire de nouveaux avantages comparatifs en dehors de l’exportation de produits bruts, doivent se saisir de cet outil.

L’INSTAURATION DE LA TVA ENCLENCHE UN FONCTIONNEMENT VERTUEUX

De même, la fiscalité peut jouer un rôle de poids dans la formalisation de l’économie, en particulier via la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Par exemple, en remboursant les crédits de TVA accumulés auprès d’une entreprise minière exportatrice en 2012-2013, le fisc mauritanien a épluché des milliers de factures payées par cette société découvrant ainsi des centaines de fournisseurs nationaux jusque-là inconnus de ses services.

Plus globalement, l’instauration de la TVA enclenche un fonctionnement vertueux, les entreprises assujetties ayant intérêt à se déclarer pour pouvoir déduire la taxe sur les consommations intermédiaires.

Le secteur agricole, largement exonéré sur le continent, aurait tout à gagner d’une telle imposition en particulier via l’octroi de crédits de TVA (éventuellement majorés comme en Chine) aux coopératives agricoles pour les investissements réalisés. Une pratique qui encouragerait à la fois la formalisation et la modernisation.

Source: https://www.jeuneafrique.com/1119611/economie/quatre-mesures-pour-inventer-une-fiscalite-africaine-post-covid/