Ramadan, les origines

Nous savons tous que le neuvième mois lunaire du calendrier hégirien est Ramadâne. C’est le mois sacré où le Coran a été révélé pour la première fois (Coran II,185). Le jeûne strict (çiyâm ou çawm), troisième pilier de l’islam, est observé chaque jour du mois depuis l’apparition de la nouvelle lune. Nous savons également que le Ramadan est sensé aussi être l’occasion d’une certaine convivialité, et qu’il a surtout pris place comme une institution fondamentale dans la pratique de l’islam au point que son application rigoureuse recouvre une signification expiatoire voire rédemptrice dans notre mémoire collective de musulmans.

Si le jeûne de pénitence est cité à plusieurs reprises dans le Coran, le Ramadan comme mois entier de jeûne n’est cité quant à lui qu’une seule fois, c’est d’ailleurs le seul nom de mois qui est nommé dans le Coran. On trouve en effet dans le Coran une recommandation de jeûne expiatoire à diverses occasions. Ainsi, il concerne celui qui revient sur une décision de répudiation de son épouse (Coran LVIII) et qui devra jeûner deux mois consécutifs, celui qui aura tué par erreur un autre croyant, et qui devra s’acquitter d’abord du prix de la dette de sang et ensuite jeûner deux mois d’affilée à défaut d’affranchir un esclave (Coran IV), également celui qui n’aura pas tenu un serment et qui devra jeûner trois jours à défaut de nourrir ou d’habiller dix pauvres, et aussi celui qui, alors qu’il était en état d’ihram (sacralisation de pèlerinage notamment), aura tué un gibier ; il devra compenser cet acte illicite par un jeûne (Coran V) etc.

Mais en dehors de la codification du Ramadan et des aspects licites et illicites qui y sont attachés, qu’en est-il de ses origines et quels faits historiques intéressants pourrait-on évoquer à son sujet ?

1) Dans l ‘ancien calendrier lunaire des Arabes, à l’époque préislamique, le mois de Ramadan arrivait toujours dans la saison chaude, en été, du fait que l’intercalage périodique d’un mois lunaire supplémentaire avait pour effet d’ajuster l’année lunaire à l’année solaire. Etymologiquement, la racine du mot Ramadan fait d’ailleurs référence à chaleur (ramâd signifie cendres). En effet, l’année lunaire comporte 10 à 11 jours de moins que l’année solaire selon que celle-ci est de 365 ou 366 jours. L’abolition des mois intercalaires constitue un changement introduit dans le calendrier sous le Prophète Mouhammad. Cette abolition fut tardive : Les versets IX,36-37 furent rendus publics par le Prophète dans un discours qu’il prononça à la Mecque lors du Pèlerinage d’Adieu en l’an 632. Ibn Ishâq cite les noms de prêtres païens qui pratiquèrent selon des rites particuliers (peu connus) les agencements des mois sacrés dans le calendrier lunaire. Le premier fut Houdayfa ibn ‘Abd, et le dernier, avant l’Islam, fut Abou Thoumâma Jounâda ibn ‘Awf. Cette pratique s’appelait « nasî’ » en arabe.

2) A Yathrib (Médine) avant l’Hégire, les rites juifs étaient dominants. En effet, Yathrib était depuis longtemps contrôlée par trois tribus juives. Même suite à l’arrivée des premiers Mouhâjiroun (Emigrants), les Ançars (Auxiliaires) continuaient à s’accommoder de certaines pratiques religieuses juives comme notamment la ‘Achoura. Les Ançars étaient des médinois d’origine qui avaient adopté l’Islam et espéraient l’intercession et l’arbitrage du Prophète Mouhammad pour mettre un terme au conflits qui ravageaient régulièrement Yathrib où s’entredéchiraient deux tribus arabes ennemies, les Aws et les Khazradj. Bon nombre de Ançars étaient liés aux juifs de Yathrib et observaient le jeûne de ‘Achoura qui avait lieu à la date même de la fête juive de l’Expiation, le 10 du mois de Tishri (*)  A son arrivée à Médine, le Prophète recommanda de rester en accord avec la coutume juive, et les musulmans continuèrent à pratiquer ce jeûne de ‘Achoura.

Mais, en dépit des efforts que déploya le Prophète pour montrer aux juifs de Médine qu’il prêchait une religion Abrahamique comme celle des « Gens du Livre », les juifs se montrèrent méfiants et même hostiles. Même quand le jeûne du Ramadan fut prescrit en 624 (Coran II,183-185 et 187) et se substitua au ‘Ashoura , ce dernier ne fut pas interdit par le Prophète aux musulmans, mais devint simplement facultatif. La disposition favorable que le Prophète Mouhammad manifesta pour les juifs de Médine, transparaît aussi du fait que la première qiblah (direction de prière) était vers Jérusalem. Ce n’est qu’en 624 que le Coran recommanda le changement de qiblah par les versets II,143-145. Ibn Ishaq nous apprend que ce changement se produisit au mois de Cha’bân, au 18ème mois après l’arrivée du Prophète à Médine. Cela permet d’apprécier la durée de la période durant laquelle le Prophète entrepris de nombreuses démarches pour se concilier, sans succès, les tribus juives de Médine.

Dans ce même ordre d’idées, on peut citer un fait tout aussi marquant, concernant l’origine de la prière du Vendredi. Avant l’Hégire, en 621, le Prophète qui était donc encore à la Mecque, envoya un homme converti à l’islam pour enseigner les préceptes de l’islam et les versets déjà révélés aux premiers convertis de Médine c’est-à-dire ceux ayant participé à la première rencontre de ‘Aqabah. Dans sa Sirah ou Biographie du Prophète, Ibn Hishâm cite le nom de cet homme : Il s’agit de Mus`ab bnou ‘Umayr bnou Hâshim. Lorsque Mus`ab arriva à Médine, il demanda aux autorités juives de l’oasis l’autorisation de réunir les nouveaux croyants musulmans. L’autorisation lui fut accordée à la seule condition que de telles réunions aient lieu le vendredi., c’est-à-dire le jour consacrée par les juifs à la préparation du sabbat.

L’intention évidente qui se profile derrière cette décision était de faire en sorte que les juifs, occupés par la préparation du sabbat, ne soient pas disponibles pour se rendre aux réunions des musulmans et écouter les prêches des missionnaires de Mouhammad, évitant ainsi qu’ils se laissent influencer par la nouvelle doctrine et ne lui deviennent complaisants. Les tribus juives espérant alors selon toute vraisemblance qu’une coalition mecquoise qorayshite vienne mettre fin aux projet envahissant du nouveau Prophète. Mais quoi qu’il en soit, se fut par cette anecdote que fut institué le culte du vendredi dans l’islam. Le plus important à relever est que le Prophète Mouhammad entérina par la suite cette décision, et effectua lui-même la prière du premier vendredi qu’il passa à Médine après son arrivée. Voilà donc un homme, dépositaire d’une Révélation, avec un projet alors grandiose tant au niveau spirituel que social, et qui accepta toutes les concessions pour trouver un terrain d’entente et de solidarité avec les tribus juives dominantes de son époque.

A la veille du Ramadan de cette année, et dans le contexte douloureux du conflit israélo-palestinien, ce que l’on peut retenir de ces événements historiques, est que la sagesse du Prophète Mouhammad lui a toujours inspiré la réconciliation, faisant reculer au plus loin les limites de la rupture. Plus encore que de jeûner, le meilleur hommage que l’on puisse rendre au Prophète est de continuer à œuvrer pour la paix, celle qu’il a dû pourtant tant souhaiter entre les enfants d’Abraham.

(*) le lendemain de Roch Hachana, le 3 Tishri, à lieu le jeûne de Guedalia. Il s’agit de l’un des quatre jeûnes institués par les prophètes bibliques (Zacharie, VIII, 14) en mémoire des malheurs qui ont frappé le peuple d’Israël, afin de l’inciter au recueillement et à la pénitence. Les dix jours de pénitence qui s’étalent du 1er au 10 Tishri aboutissent à la journée de Youm Kippour.

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