(Ecofin Hebdo) – Depuis quelques décennies, les organismes génétiquement modifiés (OGM) font l’objet de nombreuses polémiques. Pour certains experts, les OGM sont nécessaires pour lutter contre la faim. Une aberration pour ceux qui considèrent qu’ils sont nocifs à la biodiversité et responsables de la dépendance des agriculteurs vis-à-vis de l’industrie semencière.
Pour le World Resource Institute (WRI), un think tank américain orienté sur les problématiques environnementales, les OGM pourraient bien faire partie de la solution pour affronter certains défis qui attendent le secteur agricole d’ici 2050. C’est ce qui ressort de son rapport « Creating a sustainable food future : A Menu of Solutions to Feed Nearly 10 Billion People by 2050 ».
« Il faudra produire plus, mais aussi produire mieux »
Avec les 10 milliards de personnes que comptera la planète à l’horizon 2050, la demande alimentaire augmentera de 50% selon les prévisions de la FAO. « Nous devons accroître drastiquement les rendements à un rythme plus élevé que celui auquel nous l’avons fait dans l’histoire », confie à Bloomberg, Tim Searchinger, l’un des auteurs du rapport. Si une hausse de la quantité totale de nourriture est plus que nécessaire, elle ne sera pas suffisante. Il faudra aussi produire mieux. Et pour cause, le système alimentaire actuel génère un impact environnemental important. La production agroalimentaire émet 10 gigatonnes d’équivalent dioxyde de carbone par an. Elle occupe le tiers de la surface terrestre et représente 70 % de l’ensemble des prélèvements d’eau douce.
La production agroalimentaire émet 10 gigatonnes d’équivalent dioxyde de carbone par an. Elle occupe le tiers de la surface terrestre et représente 70 % de l’ensemble des prélèvements d’eau douce.
La filière alimentaire est aussi responsable de 80% de la déforestation dans le monde et de 30 % de la consommation énergétique mondiale. Aussi noir soit-il, ce tableau devrait encore s’assombrir dans les prochaines années. Avec le changement climatique et la pénurie des ressources naturelles, dont celles en eau, les défis se multiplieront pour le secteur agricole. La hausse des températures pourrait accroître la résistance de nombreux nuisibles alors que l’irrégularité des précipitations et les phénomènes extrêmes augmenteront le stress des plantes et réduiront leur productivité.
D’où la nécessité de disposer de plantes plus résistantes aux soubresauts climatiques et aux assauts de nuisibles qui iront croissant. Deux besoins que pourraient satisfaire la modification génétique.
Une clé pour la résilience des cultures
D’après le rapport, l’ingénierie génétique pourrait soutenir les transformations agricoles qui attendent le monde au milieu du 21 siècle, comme l’intensification à grande échelle, avec l’apport massif d’intrants, l’a été à la fin du siècle passé.
La filière alimentaire est aussi responsable de 80% de la déforestation dans le monde et de 30 % de la consommation énergétique mondiale.
La modification génétique consiste en l’introduction, la suppression ou le remplacement d’un ou plusieurs gènes par des moyens artificiels (opération appelée transgénèse) dans le génome d’organismes comme des plantes, d’animaux, de micro-organismes.
Pour WRI, il faut disposer de plantes plus résistantes aux soubresauts climatiques et aux assauts de nuisibles.
Actuellement, la plupart des OGM utilisés dans l’agriculture sont, entre autres, des plantes comme le maïs, le coton et le colza produisant elles-mêmes des insecticides leur permettant normalement de lutter contre un insecte ravageur. Ces cultures sont baptisées « plantes Bt » car elles intègrent un gène étranger (transgène) qui provient d’une bactérie du sol (Bacillus thuringiensis). Cet organisme possède d’une manière naturelle des gènes qui fabriquent une famille de protéines tueuses d’insectes. A côté de cette catégorie de plantes Bt, figurent aussi les cultures capables d’absorber un herbicide comme le glyphosate de la firme Monsanto. Si les deux premières formes d’utilisation des OGM sont les plus connues, le WRI invite cependant à aller au-delà et d’explorer d’autres possibilités d’utilisation de l’ingénierie génétique.
La modification génétique a notamment permis de sauver la population de papaye de l’Ile d’Hawaï d’un virus mortel et pourrait être capable d’en faire autant pour les pommes de terre en Ouganda, le soja au Brésil et les tomates en Floride.
« Nous ne pensons pas que le débat à propos de ces deux aspects devrait dicter la politique à propos de la technologie globale de l’ingénierie génétique. En considérant les effets sur la santé, il y a un consensus scientifique sur le fait que la sécurité alimentaire ne justifie pas le rejet de la modification génétique en général », écrivent les auteurs.
Des pomnmes de terre enrichies à la vitamine A.
Pour le WRI, l’ingénierie génétique pourrait mettre en évidence des gènes résistants dans les cultures et donc d’épargner de nombreuses espèces végétales de l’extinction. Par exemple, indique le rapport, la modification génétique a notamment permis de sauver la population de papaye de l’Ile d’Hawaï d’un virus mortel et pourrait être capable d’en faire autant pour les pommes de terre en Ouganda, le soja au Brésil et les tomates en Floride.
Des pistes de développement
D’après le rapport, la nécessité de gains de rendements et d’utilisation des nouvelles technologies pour modifier l’ADN, fournit un argument solide pour une hausse de l’investissement dans l’amélioration génétique des plantes. Cette implication plus accrue pourrait suivre plusieurs axes afin de tirer le meilleur parti des opportunités qui s’annoncent pour l’amélioration de la résilience des cultures.
Pour le WRI, il faut commencer par augmenter les financements publics dans la recherche et le développement. Ils représentent actuellement 1,4 à 1,7% du PIB agricole mondial. C’est moins que la part de la richesse globale consacrée à la recherche dans le monde tout secteur confondu (2,1%).
Le second axe privilégie l’usage accru de marqueurs dans le processus d’hybridation. Cette technique ouvrirait la voie au traçage des gènes et à la réalisation de cartographie de l’ADN. Ce qui favoriserait un meilleur échange des informations et réduirait le nombre de cycles de sélections comparativement à la méthode conventionnelle.
« Développer la recherche sur les céréales secondaires comme le sorgho ou le mil. »
En outre, il faudra aller au-delà des grandes cultures comme le maïs, le riz, le soja et le blé pour travailler sur des céréales secondaires comme le sorgho ou le mil, dont la production est concentrée en Afrique orientale et occidentale. Le sorgho est un bon exemple sur lequel il conviendra de mener de recherches en raison de ses problèmes de qualité et de productivité affectant de nombreuses variétés en Afrique, souligne le rapport.
Le sorgho est un bon exemple sur lequel il conviendra de mener de recherches en raison de ses problèmes de qualité et de productivité affectant de nombreuses variétés en Afrique, souligne le rapport.
Par ailleurs, les chercheurs pourraient également capitaliser sur les nouvelles technologies moléculaires comme les Crispr (Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées, ndlr). Cette technique permet de supprimer, modifier, amplifier des gènes de la plante compte tenu des besoins et sans introduction de gène étranger.
Les nouvelles technologies moléculaires permettent de supprimer, modifier, amplifier des gènes de la plante compte tenu des besoins et sans introduction de gène étranger.
« Nous avons utilisé tous les outils que nous avions en notre possession. L’ingénierie génétique ne sera pas le seul outil, mais c’est le meilleur. Ne pas l’utiliser reviendrait par exemple à demander à un sélectionneur d’utiliser un abaque au lieu d’une calculatrice », fait remarquer Sarah Davidson Evanega, directrice de la Cornell Alliance for Science, un institut américain travaillant à l’amélioration de la sécurité alimentaire mondiale.
Rester réaliste sur la modification génétique
A la sortie des conclusions du WRI, de nombreuses voix ont exprimé leur scepticisme quant aux idées défendues sur l’ingénierie génétique. Beaucoup, parmi les analystes estiment qu’elles manquent de réalisme. « Cette étude est trop optimiste à propos du potentiel de la technologie OGM », constate Bill Freese, analyste en politique scientifique au Center for Food Safety, un organisme américain basé dans le domaine de l’environnement. Il estime qu’il est possible de faire mieux en utilisant moins de ressources avec les méthodes actuelles. Il en veut pour preuve une étude publiée en 2014 dans la revue Nature démontrant que la sélection conventionnelle était plus rapide que l’ingénierie génétique dans le développement de variétés de maïs résistantes à la sécheresse.
Il en veut pour preuve une étude publiée en 2014 dans la revue Nature démontrant que la sélection conventionnelle était plus rapide que l’ingénierie génétique dans le développement de variétés de maïs résistantes à la sécheresse.
« Il est facile de jeter le bébé avec l’eau du bain, mais au-delà, il faut tenir compte des succès et des échecs. Il y a des fonds publics limités. A un certain niveau, nous devons nous poser la question de savoir s’il faut continuer sur cette voie (celle de la modification génétique ; ndlr) », ajoute M. Freese.
Espoir Olodo