Témoignage : ma rencontre avec feu Hadj Mamadi DIANE, Conseiller spécial du Président Alassane Ouattara
El Hadj D. OTHMAN
Pour des raisons involontaires, je vivais à Dakar, au Sénégal, chez un grand frère, Touré Vassiriki, fonctionnaire international à la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Nous habitions le quartier Air Afrique.
Au même moment Oustaz Fofana était en exil forcé aux USA. Il y était allé pour une conférence, mais pour des raisons sécuritaires il ne pouvait plus retourner au pays.
Durant une nuit pluviale de l’harmattan Dakarois, il m’envoya un message selon lequel un certain Mamadi Diané devait entrer en contact avec moi pour obtenir des documents afin de compléter sa demande de statut de réfugié.
Quelques jours, après Mamadi Diané a pu me joindre au téléphone. Ensuite il m’envoya la liste des documents dont il avait besoin.
C’était facile pour moi, ce travail de documentation. D’autant plus à Dakar j’étais assez libre, et j’avais un accès illimité à internet chez Touré Vassiriki. Ce qui me permettait de tenir une revue de presse quotidienne non seulement pour la colonie ivoirienne à Dakar, mais aussi pour la reste de la diaspora en France, aux USA et en Asie. Je parcourais tous les journaux ivoiriens, les revues françaises, ainsi que les rapports des organisations et ONG sur les droits de l’homme…
Donc je n’eu pas de difficultés à réunir toute la documentation nécessaire pour justifier aux yeux des services de l’immigration américaine que Oustaz Fofana était bel et bien contraint de rester en exil.
Peu de temps après, Diané Mamadi vint à Dakar. C’était notre première rencontre. Il me félicita pour le travail abattu, d’autant plus qu’on avait pris le soin de le traduire en anglais, et d’y intégrer des photos vraiment illustratives des dégâts infligés à certains édifices musulmans, et les imams violentés ou incarcérés. Tout ceci, sur la base des rapports d’Amnisty international, Human Right Watch, du COSIM et du Conseil National Islamique, dont j’étais le directeur du centre d’information et de documentation (CEID). A son départ, il m’invita à séjourner chez lui à Washington, où je devais effectuer une mission pour le compte du Club des Hommes d’Affaires Musulmans dont le bureau avait été délocalisé momentanément dans la capitale sénégalaise. Avec sur place le Président Fondateur Ladji Karamoko, et le vice-président Touré Daouda.
Mamadou Diané était un homme puissant, mais humble, et serviable. Il est venu lui-même au volant de sa voiture, me chercher à l’Aéroport Dulles de Washington dont il était membre du Conseil d’Administration. Mamadi était un puissant homme d’affaires et de relations publiques. Ce n’est pas par hasard que ces bureaux de sa société Amex étaient situés à quelques encablures des bureaux de la Banque mondiale, Pennsylvenia avenue, je crois……
Un bureau qui grouillait de monde, avec un personnel majoritairement blanc issu de toutes les nationalités dont Mamadi était le boss. Amex était dans tous les domaines d’activités et dans le monde entier. Malgré ses nombreuses occupations, Mamadi tenait à respecter scrupuleusement toutes les heures de prière dans son luxueux bureau de la capitale fédérale américaine. Quelques années plus tard on se rencontra autour d’un contrat commercial, à Abidjan, avec l’un de ses nombreux partenaires internationaux. Il était très heureux de me revoir et m’invita dans ses bureaux de la Présidence de la République où il était devenu entretemps, un conseiller très influent du président Alassane. Mamadi est resté toujours le même, débonnaire et taquin. Un jour que je lui rendis visite pour obtenir un stage pour mon fils Alpha étudiant en sciences politiques à l’université de Washington, je le trouvai en compagnie du Ministre Aly COULIBALY, son ami de tous les jours, et de tout instant. Taquin comme toujours, il dit à Aly ² tu vois la cravate que le Sarakolé porte ?² Moi je n’en savais rien, car c’était un cadeau. Ensuite on passa à l’objet de ma visite.
Il accepta volontiers et proposa au stagiaire de travailler sur une étude comparative des Institutions de la démocratie américaine et celles de la Côte d’Ivoire. A la fin du stage il remit une enveloppe de 2000 dollars américain à son stagiaire, qui s’empressait de les remettre à ses parents. Car pour lui, il ne savait pas ce qu’il avait fait pour mériter une telle ²fortune². Mamadi était ainsi généreux. Quand il te donnait de l’argent, tu te demandais s’il ne s’était pas trompé. Il n’attendait pas d’être sollicité pour aider. Beaucoup de gens pensent souvent hélas, m’a-t-il dit un jour, «qu’il faut être riche pour pouvoir donner…. Douk, c’est archi faux. … pouvoir donner, c’est un privilège, c’est une chance que Dieu donne à qui il veut …et tant qu’on est au service des bonnes causes, Dieu vous donne les moyens pour y faire face…» Diané éprouvait un réel plaisir à partager.
Diané n’aimait pas les injustices. Chaque fois qu’il en voyait, il montait au créneau avec ses moyens personnels, ou au besoin aves ses relations si multiples et si diverses. Ainsi quand le Ministre ivoirien Bacongo Cissé de l’enseignement supérieur décida, dans sa volonté de rénover le campus de l’université Félix Houphouët Boigny, et de procéder à la destruction de la mosquée de fortune du CHU de Cocody, la communauté musulmane avec à sa tête le Cheick Ahima tenta de l’en dissuader. Mais celui-ci refusa catégoriquement. Après beaucoup de négociations, Mamadi Diané obtint du Ministre un compromis qui autorisait une délocalisation de la mosquée sur un autre site. Mais bien plus. Car il promettra au Cheick Ahima, de bâtir l’une des plus belles mosquées de Côte d’Ivoire au CHU de Cocody. L’imam officiant de la mosquée, Diabaté Moussa n’en croyait pas à ses yeux. Celui-ci priait tout simplement pour pouvoir vivre, et voir ce rêve se réaliser. Car généralement la construction d’une mosquée simple prend du temps. Et à plus forte raison l’une des plus belles mosquées de Côte d’Ivoire. Le terrain octroyé était un terrain au relief complexe, excentré, c’était une série de ravins.
Mais Mamadi tient parole. Et en un temps record, le bel édifice sortit de terre, et totalement décoré et meublé par les artisans marocains, venus spécialement des Royaume chérifien. Un vrai chef d’œuvre qui coûta des centaines de millions. En manager expérimenté et leader visionnaire avant la fin de tous les travaux, son souci était désormais comment gérer ce joyau architectural et spirituel.
Un jour il me demanda de réfléchir à la structuration de la gestion de la mosquée qui porte maintenant son nom. Nous nous rencontrâmes plusieurs fois dans ses bureaux, où sur le chantier même. Mamadi ne se faisait rien au hasard. Il avait la suite dans les idées, totalement ouvert d’esprit et professionnel jusqu’au bout. Arrivé très jeune aux Etats-Uniens, ce pays l’avait façonné, modelé et fasciné.
Mais il n’avait pas pour autant oublié ses racines et sa culture musulmane. Le projet de la mosquée du CHU de Cocody faisait partie de ses rêves.
Pour Mamadi cette mosquée était aussi et d’abord le symbole d’une amitié avec le Cheick Ahima dont il admirait la vaste connaissance de l’islam, sa modération et son engagement pour la justice. La présence de l’imam Fofana en Amérique a eu un grand impact sur les communautés musulmanes africaines aux Etats-Unis et en particulier à Washington, New-York et Philadelphie. C’est là que les relations entre les deux hommes se sont considérablement renforcées. Et quand les deux se sont retrouvés à Abidjan c’était la parfaite complicité. Pour cela, il ne voulait pas d’une simple mosquée. Il voulait un vrai complexe religieux avec toutes les commodités de formation, de retraites spirituelles pour les intellectuels et cadres musulmans. Mais comme toujours, on emporte dans l’au-delà une partie de nos rêves. Mamadi est parti aussi avec une partie de ses rêves. Fasse Dieu, que ce qu’il a réalisé ici et ailleurs l’aident à être au Paradis.
Amine.