D’avril à Juillet 2019, le Rwanda commémore pendant 100 jours, les 25 ans du génocide qu’il a connu. 100 jours qui symbolisent le temps qu’a duré cette tragédie. Une tragédie non plus rwandaise, mais africaine, voire mondiale. En réalité, cette « folie humaine » concentre en elle, la tortuosité du chemin de la construction de la nation par les pays africains. Premièrement, parce que cette tragédie est en grande partie due à un héritage colonial confligène qui n’a jamais pu être soldé. En effet, le Rwanda fut tour à tour colonisé par l’Allemagne, puis après la première guerre mondiale, par la Belgique. Les premiers ont formalisé les rapports socio-politiques existant, qui étaient en faveur des Tutsis, minoritaires.
Les seconds ont plutôt fait basculer ce rapport de forces en faveur des Hutus moins revendicatifs et majoritaires. Cela, du fait que les Tutsis montraient des velléités de revendication indépendantistes. Ce chamboulement des rapports de forces qui a conduit à une mainmise des Hutus sur le pouvoir d’Etat à l’indépendance, provoque des massacres de Tutsis qui les obligent à l’exil. Ce contentieux politique va constituer l’épine dorsale de l’imbroglio politique rwandais durant des décennies jusqu’au génocide. Deuxièmement, le génocide rwandais illustre assez bien, les conséquences incalculables que peuvent entraîner la cécité des hommes d’Etat. Surtout quand ceux-ci bénéficient du soutien aveugle des puissances occidentales. En effet, les dirigeants politiques rwandais de l’époque savaient et mesuraient bien la volonté irrésistible de leurs compatriotes Tutsis contraints à l’exil auparavant, de rentrer dans leur patrie. Pourtant, la cécité et l’absence d’anticipation politiques, leur ont fait croire qu’ils pouvaient contenir durablement les velléités de cette minorité en exil.
Pire, une partie de la classe dirigeante entrainée par une dynamique haineuse, a poussé le bouchon de la bêtise humaine jusqu’à penser et planifier la solution extrême. Cela, en décidant de faire disparaitre à travers un massacre de masse la minorité adverse. Ainsi, si ce projet funeste venait-elle à être exécuté, celle-ci n’aurait plus quelques moyens de revendiquer quoi que ce soit. Du coup, la majorité Hutu pourrait-elle disposer de tout, notamment du pouvoir et de la terre. D’où, le qualificatif de génocide défini comme « une entreprise pensée, planifiée de massacrer un groupe donné » attribué à cette initiative macabre du pouvoir Hutu d’alors. Troisièmement, la tragédie rwandaise démontre combien de fois, la construction des nations est tributaire des implications politiques des puissances occidentales. La responsabilité de la France et de l’ONU a été mise à nue par les études sur la question. Devant cette situation, Paul Kagamé s’est courageusement affranchi de la France, imposant l’Anglais comme première langue du pays. Même si des rapprochements se font sentir actuellement entre les deux pays. Quatrièmement, les résultats spectaculaires de la marche forcée imprimée durant ces 25 ans par Paul Kagamé à son pays obligent à réfléchir sur la nature des régimes politiques opportuns pour nos pays africains.
En effet, depuis l’ouverture démocratique, les pays africains n’ont cessé d’être secoués par des crises profondes qui ont accentué la pauvreté et lézardé le mur des nations en construction. Au Rwanda, l’ouverture démocratique limitée (de nombreux partis hutus sont interdits), a permis au pays de panser les plaies et d’engranger des avancées notables. A juste titre, car dans ce pays, le déséquilibre démographique très favorable aux Hutus, dans un contexte ethniste très marqué, ne pourrait pas permettre l’avènement d’un Tutsi au pouvoir. Apparemment, Paul Kagamé veut se donner du temps, de créer une nouvelle génération de Rwandais non plus marqués par l’identification à l’ethnie avant d’ouvrir le jeu démocratique. Pour notre part, nous pensons qu’un système électoral à la proportionnelle bien élaboré, qui évite toute hégémonie d’une ethnie devrait voir le jour, pour garantir durablement la paix et le développement obtenus. Cinquièmement, se pose la lancinante question de la réconciliation nationale. En dépit des efforts, celle-ci reste à atteindre. Car, beaucoup de génocidaires n’ont jamais reconnu leurs crimes. Il y a même des tendances révisionnistes voire négationnistes du génocide qui restent encore actives. Au total, les solutions au drame rwandais pourraient constituer des pistes d’un développement durable aux autres pays africains.
NURUDINE OYEWOLE [email protected] Expert-consultant en communication