Quand le changement climatique peut entraîner une détresse psychique

Si le Sommet Action Climat de l’ONU a été mis sur pied ce 23 septembre, c’est parce que la planète est plus que jamais en danger. Le changement climatique est, selon l’ONU, certainement l’enjeu le plus important de notre époque. Ses répercussions se font ressentir sur tous les plans, même celui du mental.

Les souffrances psychiques dues au changement climatique sont devenues un mal qui touche de plus en plus d’humains. Mais comment en guérir ?

Le 29 juillet dernier, notre planète a épuisé toutes ses ressources renouvelables de l’année, le mois de juillet a été officiellement déclaré le mois le plus chaud jamais mesuré au monde par le service européen Copernicus sur le changement climatique. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a limité à onze le nombre d’années restant avant des bouleversements sans précédent. Toutes ces informations, et la liste pourrait être bien longue, ne peuvent laisser de marbre.

Dans l’Hexagone, selon un sondage Ifop d’octobre 2018, 85 % des Français se disent inquiets du réchauffement climatique (93 % chez les 18-24 ans). Les catastrophes environnementales et leurs conséquences désastreuses peuvent aller jusqu’à terroriser certaines personnes.

Un sentiment d’apocalypse

« Le mois dernier, je suis restée enfermée chez moi dans le noir. Je ne sais pas si je vais pouvoir remonter, c’est encore très confus pour moi. J’ai une impression d’apocalypse. » Le mal de Saloua, proche de la quarantaine, se nomme solastalgie. Derrière ce mot barbare se cache une forme de détresse psychique ou existentielle due aux changements environnementaux. Dépression, insomnie, etc., cette souffrance peut aller jusqu’à l’hospitalisation, ou au refus d’enfanter par peur de ce que sera notre planète dans quelques décennies.

« Si je ne veux pas d’enfants, poursuit la jeune femme, c’est parce que dans vingt ans je ne veux pas qu’ils se retournent contre moi en constatant l’état de la planète, et qu’ils me disent : »Tu le savais et tu nous as quand même mis au monde ». »

Saloua est loin d’être la seule à souffrir de solastalgie, aussi appelée éco-anxiété, angoisse climatique ou encore burn-out écologique. Les témoignages sont légion sur internet. Les blogs et groupes qui y sont dédiés foisonnent. Des discussions où chacun raconte ses maux quand d’autres expliquent les remèdes pour les atténuer.

Et ce mal du XXIe siècle n’est pas l’apanage des pays riches. Les pays du Sud souffrent aussi énormément du réchauffement climatique. Les Inuits qui se désolent face à la fonte des glaces, les îliens face à la montée des eaux, tout le monde est concerné.

Les ours polaires sont victimes du réchauffement global, et la fonte des glaces dans l’Arctique les force à passer plus de temps à la recherche de nourriture

La théorie de l’effondrement

Beaucoup de personnes atteintes de solastalgie ont ressenti de la détresse en écoutant des conférences de Pablo Servigne ou après la lecture de son best-seller écrit avec Raphaël Stevens Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015).

L’ouvrage décortique les ressorts d’un possible effondrement de notre civilisation industrielle et propose un tour d’horizon interdisciplinaire de ce sujet – fort inconfortable – nommé la « collapsologie ». Aujourd’hui, peut-on lire sur la page de leur maison d’édition, l’utopie a changé de camp : est utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant. « L’effondrement est l’horizon de notre génération, c’est le début de son avenir. Qu’y aura-t-il après ? Tout cela reste à penser, à imaginer, et à vivre. »

« C’est bon signe que les gens soient sous le choc après cette lecture, commente Pablo Servigne. Ça veut dire que ça touche, que ça percute enfin. » Et le spécialiste des questions d’effondrement, de transition, d’agroécologie et des mécanismes de l’entraide d’expliquer : « Beaucoup de gens passent par ces phases de dépression, de choc, de sidération, de colère, de désespoir, de tristesse, de rage etc. C’est très fréquent, et nous aussi nous sommes passés par là. » En effet, une enquête de 2015 publiée dans la revue américaine Esquiremontre que nombre de scientifiques et de chercheurs sur le climat ont développé un certain traumatisme face aux catastrophes passées et à venir.

Une prise de conscience pour mieux agir

« Mais c’est comme des montagnes russes, poursuit Pablo Servigne, et très peu de gens restent bloqués à un stade, chacun suit son rythme. Ce n’est pas inquiétant, au contraire, c’est sain. Quelqu’un qui n’est pas touché par la destruction de son environnement est plutôt un psychopathe, selon moi. C’est tout à fait normal d’être touché par la perte d’êtres que l’on aime… les oiseaux, les arbres, les écosystèmes. Ce sont des liens très forts que nous avons en nous et quand on perd des liens, ça s’appelle un deuil… et celui-ci peut prendre des mois, voire des années. »

Dans une tribune du Monde, trois spécialistes de collapsologie expliquent vouloir aider à prendre conscience des enjeux environnementaux. « C’est en montrant concrètement les chemins des possibles à ceux qui sont saisis par l’effroi de fin du monde qu’une espérance plus forte que les peurs est possible. »

Une initiative qui ne convainc pour le moment pas Saloua, visiblement découragée par l’état de la planète, qui remet tout en question face au flot de mauvaises nouvelles pour notre Terre. « Toutes les guerres, ces gens qui fuient leur pays, les problèmes d’eau, je ne sais pas si je peux encore avoir de l’espoir. Je n’ai jamais eu peur de rien, et là je fais une psychose sur le manque d’eau par exemple, je me sens totalement impuissante aussi face à toute cette pollution plastique », confie-t-elle.

Quand on sait que si le monde entier vivait sur le modèle européen, il faudrait 3,4 planètes Terre, difficile en effet d’être optimiste… D’ailleurs, le concept de la décroissance prôné par Pierre Rabhi prend ici tout son sens : la croissance économique apporte plus de nuisances que de bienfaits à l’humanité.

La déforestation de l’Amazonie a atteint au mois de mai 2019 un rythme sans précédent depuis dix ans

L’ensemble plutôt que l’individualisme

« Il faut sortir du déni, analyse Pablo Servigne. Quand il y a un incendie il faut le dire, et ne pas dire qu’il y a un petit feu… Aujourd’hui, beaucoup de gens se mettent à l’action, on reçoit énormément de témoignages de gratitude, des « merci, j’ai changé de vie grâce à vous », etc. Il y a une psycho-diversité, ceux chez qui la peur faire agir, ceux chez qui elle fait stagner. Quand un immeuble est en feu, la moitié des gens crient « au feu », l’autre va chercher à éteindre l’incendie. »

À ce titre, la jeune Suédoise Greta Thunberg, égérie médiatique de la lutte contre le réchauffement climatique, a pris conscience très jeune de ce qui se jouait autour d’elle et s’est mise à agir. « Je ne veux pas de votre espoir, a-t-elle déclaré devant les participants lors du Forum économique mondial de Davos en janvier dernier. Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez la peur que je ressens tous les jours. »

Si le mieux aujourd’hui pour Saloua était de vivre en autosuffisance « au fin fond de la Pampa », Pablo Servigne explique que la leçon à tirer de la situation actuelle est qu’il faut être ensemble. « Ne jamais être seul. Notre société nous pousse de manière structurelle à l’individualisme alors que ce n’est pas possible de se préparer tout seul. C’est d’ailleurs la grande leçon de nos travaux de ces dernières années: tout seul, on est mort. Un humain seul ne fait pas de société… »

« Découvrir l’ampleur des catastrophes passées et à venir incite à la peur. Mais il ne faut pas entrer dans une société ultra-individualiste comme aux États-Unis, ultra-libérale et ultra-matérialiste », poursuit-il.

D’autant que les initiatives à grande comme à plus petite échelle pour sauver la planète ne manquent pas, entre les marches pour le climat, les pétitions en lignes, les associations écologiques, les démarches pour produire zéro déchet etc.

Pour ne pas demeurer impuissants face à l’effondrement de notre monde et ne pas être victime des catastrophes annoncées, ne pas aller droit dans le mur, pour prévenir une future épidémie de solastalgie, Michel Serres* a peut-être trouvé une partie du remède quand il écrit : « On a souvent prétendu qu’obéir à la nature était la meilleure stratégie pour la commander. En pratiquant cette dictature depuis quelques siècles, nous l’avons en quelque sorte réduite en esclavage de sorte qu’aujourd’hui sa révolte risque de nous éliminer de son règne. Nous devons donc obéir à la nature pour connaître mieux notre nouvelle partenaire. »

*Morales espiègles, Michel Serres Ed. Le pommier, 2019.

RFI