À cinq jours du premier tour de la présidentielle au Mali, focus sur les derniers préparatifs et débats sur l’organisation du scrutin.
À mesure que le scrutin du 29 juillet approche, les craintes se font plus vive au Mali. Les préparatifs de l’élection se font en effet dans un contexte politique et sécuritaire tendu. Des groupes jihadistes sont actifs dans le nord du pays, le Centre est miné par des conflits intercommunautaires (entre Peuls, traditionnellement éleveurs, et les ethnies bambara et dogon, pratiquant majoritairement l’agriculture) et la défiance entre la majorité et l’opposition à son paroxysme.
Polémique sur le fichier électoral
Le 20 juillet, l’Union pour la république et la démocratie (URD) de Soumaïla Cissé – principal challenger d’Ibrahim Boubacar Keïta, candidat à sa propre succession – a annoncé l’existence d’un fichier électoral « parallèle » comportant un potentiel de 1,2 millions de voix fictives – sur 8 millions d’électeurs inscrits.
Pour le parti du chef de file de l’opposition, le fichier publié sur internet ne correspond pas à celui audité en avril par des experts de l’OIF et des partis politiques de la majorité et de l’opposition.
Durant sa conférence de presse, Tiébilé Dramé, le directeur de campagne de Soumaïla Cissé, a dénoncé une « vaste tentative de fraude » et affirmé que son candidat n’irait pas aux élections avec un tel fichier.
Les autorités réfutent ces accusations. « Nous persistons, nous signons, il n’existe qu’un seul fichier électoral. Celui qui a permis de faire les listes électorales, les cartes d’électeurs biométriques et les fiches d’émargement. C’est du tollé avant élection », martèle Babahamane Maïga, secrétaire général du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation (MATD) contacté par Jeune Afrique.
Pour désamorcer la tension, le gouvernement a proposé aux partis politiques de se rendre à l’imprimerie nationale de France, à Paris, afin de constater par eux-mêmes le fichier ayant servi à l’impression des cartes d’électeurs.
Une rencontre prévue sur cette question a justement démarré à Bamako, à la mi-journée ce mardi 24 juillet. Elle rassemble les candidats en lice, le regroupement des partis politiques, les partenaires techniques et financiers et les observateurs internationaux.
En attendant, la distribution des cartes d’électeurs biométriques, si elle a été timide au cours des premières semaines (37% de cartes effectivement distribuées au 12 juillet), suit son cours. Les autorités affirment que les choses se sont accélérées ces derniers jours, avec un taux de retrait à 62,26% au 17 juillet.
Signe de la volonté affichée par le gouvernement d’éviter une abstention record, les autorités ont déclaré fériés les vendredi 20 et lundi 23 juillet, dans le but de permettre au maximum d’électeurs d’aller retirer leurs cartes.
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Sécurité et logistique
Sur le plan sécuritaire, les autorités se veulent aussi rassurantes. « Le maillage territorial est déjà effectif. Nous sommes prêts à déployer sur le terrain près de 30 000 hommes, toutes forces confondues », assure Amadou Sangho, conseiller en communication du ministère de la Sécurité joint par Jeune Afrique.
Les forces de sécurité maliennes (FMS), les forces armées maliennes (FAMAS), la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), la force française Barkhane ainsi que des groupes armés – signataires (MSA, GATIA) ou non de l’accord de paix d’Alger – sont réunis au sein d’un comité de Sécurité, afin d’« assurer la sécurisation avant, pendant et après l’élection”. Il s’agit entre autres de la sécurisation du transport du matériel électoral, des bureaux et des centres de vote ».
Le jour du vote, « la répartition se fera en fonction des besoins de chaque zone, mais toute l’étendue du territoire sera couverte, car, là où les forces maliennes ne seront pas présentes, ce sont les partenaires et les groupes armés qui assureront la mission », ajoute Amadou Sangho.
L’acheminement de plusieurs tonnes de matériel (bulletins de vote du premier tour, feuilles de dépouillement, procès-verbaux des opérations de vote, récépissé des résultats, procurations de vote, feuilles de recensement des votes, procès-verbaux de centralisation des résultats, lampes tempêtes, gilets des agents de bureaux de vote, etc.) a déjà commencé depuis plusieurs mois.
La MINUSMA, dont l’une des missions est l’accompagnement technique et sécuritaire de l’organisation du scrutin, a annoncé le 19 juillet lors d’un point de presse avoir « transporté environ 70 tonnes de matériel électoral entre le début du mois de juin à ce jour. »
« Toutes les régions ont été pourvues en documents électoraux. Le matériel lourd étant déjà sur place, on peut dire que 5 jours avant le scrutin, tout est mis en place pour que la présidentielle ait lieu », estime Babahamane Maïga.
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Personnel électoral
Lors d’une conférence de presse lundi, Amadou Ba, le président de la Céni a déploré le manque de moyens financiers de sa structure, alors que les délégués, désignés par la Commission électorale nationale indépendante (Céni) et les assesseurs et présidents de bureaux de vote joueront aussi un rôle capital le 29 juillet.
Le ministère des Finances n’aurait octroyé que 3 des 14 milliards de FCFA prévus. Un déficit de moyens d’autant plus problématique que le nombre de bureaux de vote a augmenté (de 14 200 en 2008, à 23 041 en 2018), faisant mécaniquement monter le nombre de délégués nécessaire, la Céni voulant avoir un représentant dans chacun d’entre eux.
Une « mauvaise interprétation des textes », pour Babahamane Maïga. « C’est vrai qu’il est dit qu’en cas de non signature d’un procès verbal, ou de constatation sur le terrain de certaines difficultés, le rapport de la Céni peut faire foi. Mais un délégué peut couvrir tout un centre de vote [comprenant plusieurs bureaux] », estime le secrétaire général du ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation.
Amadou Ba affirme que le scrutin de dimanche sera marqué par une série d’innovations. Un système pour accélérer la transmission des rapports des délégués sera notamment mis en place, a expliqué à Jeune Afrique le président de la Céni : « Ils pourront les scanner et les envoyer au siège le jour même de l’élection ou le lendemain au plus tard, afin que nous puissions les centraliser, avant l’arrivée des rapports physiques. » Les accesseurs quant à eux, ont déjà été recrutés quinze jours avant le scrutin et leur formation est en cours.
JEUNE AFRIQUE