Info Saphirnews. Des milliers de pèlerins musulmans en France, qui avaient l’intention d’effectuer le hajj cette année, le grand pèlerinage constitutif des cinq piliers de l’islam, ont vu ces derniers jours leur voyage tant attendu tomber à l’eau, faute de visas. Mais est-ce vraiment la faute à l’Arabie Saoudite ? Enquête sur une vague d’annulations inédite, de mémoire de professionnels du pèlerinage.
Ce voyage étant souhaité de longue date, elle ne cache pas sa « déception totale », couplée à « un gros sentiment de frustration » de ne pouvoir « aller sur les terres du Prophète » Muhammad pour accomplir le cinquième et dernier pilier de l’islam. « Regarder les vidéos de La Mecque et se dire qu’on n’aurait pu y être » n’est pas facile à digérer. « On s’imaginait déjà là-bas. On voit les pèlerins et on se dit que ça y est, c’est notre tour, on va y aller. Au final, notre rêve a été détruit à quelques heures du départ » supposé, témoigne Iman, pour qui le coût du voyage en couple s’est élevé à « un peu plus de 10 000 € ».
Comme elle, ce sont des milliers d’aspirants pèlerins en France qui ont cette année été privés de hajj, faute de visas délivrés par l’Arabie Saoudite. Selon nos sources, ce ne sont pas moins de 3 000 personnes qui ont vu, ces derniers jours, leur participation à la saison du hajj 2019, qui se tient du 9 au 14 août, annulée. Ils seraient même entre 4 000 et 5 000 musulmans, répartis entre plusieurs agences, à avoir réservé un voyage qu’ils ne pourront malheureusement pas effectuer. De mémoire des professionnels du secteur, jamais autant de personnes n’auront été lésées en une seule et même saison du grand pèlerinage.
A qui la faute ?
Par ailleurs, et contrairement à des informations qui circulent allègrement sur la Toile, les visas de ces pèlerins n’ont pas été « annulés » par l’Arabie Saoudite, et encore moins « à la dernière minute ». Le choix des mots est important : les visas n’ont tout bonnement pas été attribués de base aux agences dont les pèlerins dépendaient, en conscience ou non.
Car des centaines de personnes ont, en effet, donné leur confiance à des structures commerciales ou associatives sans agrément qui ont elles-mêmes fait confiance à des agences qui disposent habituellement du précieux quota. Habituellement jusqu’à cette année 2019, l’Arabie Saoudite ayant décidé, plusieurs mois avant le hajj, de leur retirer l’agrément pour des raisons qui ne sont pas rendues publiques par les autorités compétentes. Nous n’avons pas été en mesure de joindre l’ambassade d’Arabie Saoudite en France sur ce sujet.
A cette date, la liste des agences agréées n’avait pas encore été communiquée ; elle a circulé courant du mois d’avril, indique à Saphirnews un professionnel du secteur du hajj bien informé qui souhaite rester anonyme. Cette liste que Saphirnews a pu consulter compte 63 structures et le nom d’Amen Voyages, qui attendait à elle seule quelque 2 000 visas, n’y figure effectivement pas.
L’agrément est « renouvelable chaque année tant qu’il n’y a pas d’incident. En cas de souci, l’administration saoudienne nous écrit largement en avance » pour expliquer la nature du problème, « cinq-six mois avant le début du pèlerinage », plaide Salah Mabrouk, le directeur d’Amen Voyage, auprès de Saphirnews. « Cette année, nous n’avions a priori aucun souci à nous faire car tout s’était bien passé l’année dernière », indique-t-il. Assurant n’avoir reçu cette année aucune notification officielle de refus de l’agrément de la part des autorités saoudiennes, l’homme, qui revient de plusieurs semaines en Arabie, avait un espoir, en conséquence, de se voir délivrer des visas jusqu’à ces derniers jours, en l’occurrence fin juillet. « Mais attention : (…) j’ai informé mes clients » en amont des difficultés que son agence rencontrait pour obtenir les visas, affirme-t-il, se défendant de toute forme d’escroquerie.
Ses clients, en l’occurrence, ce sont principalement des agences. Salah Mabrouk ne s’en cache pas : sur les 2 000 visas environ qu’il obtient chaque année de l’Arabie Saoudite, c’est un très faible nombre de personnes qu’il fait partir directement via Amen Voyage, « 10 à 15 personnes cette année ». Les 1 900 autres places sont revendues sous forme de packages à des structures partenaires qui sont, elles, non agréées Hajj.
Serait-ce pour ce fonctionnement, le recours massif à la vente en sous-traitance, que son agrément n’a pas été renouvelé, comme nous le laissent entendre des professionnels du hajj ? Non, pour Salah Mabrouk, qui argue que ses pratiques, qui n’ont rien d’illégales tant qu’il ne fait pas commerce des visas seuls, sont connues dans le milieu, sans que cela n’ait posé problème aux autorités saoudiennes. Du moins jusque là.
A la bataille judiciaire, une bataille d’image engagée
« Tout a été payé en temps et en heure. (…) En tout, ce sont des sommes astronomiques que nous avons avancées qui partent en fumée juste à cause de ce problème de visa dont nous sommes les premières victimes », explique la direction de l’agence dans un communiqué, sans jamais citer le nom d’Amen Voyage. « C’est une terrible et une cruelle désillusion mais nous assumerons nos responsabilités. Vous avez signé un contrat qui nous engage et nous ferons valoir nos droits et les vôtres auprès des tribunaux compétents », a-t-elle fait part.
Iman et son mari font partie des clients de Tawhid Travel. Ce n’est pas tant à l’Arabie Saoudite qu’elle en veut mais, plus globalement, « aux agences agréés qui revendent des visas qu’ils n’ont pas » comme aux agences non agréées qui ne sont pas clairs sur leur statut. « J’en veux aussi à Tawhid car, même si elle se positionne en victime, c’est elle qui a organisé le voyage, c’est avec elle qu’un contrat a été signé », un document dans lequel « le nom d’Amen voyages n’a pas été communiqué », déclare-t-elle.
Les responsables de Tawhid Travel « connaissent le milieu. (…) Ils auraient pu voir cette situation venir et prendre leurs dispositions » pour éviter la catastrophe aux pèlerins. « Je préfère me dire qu’ils sont naïfs plutôt que malhonnêtes », ajoute Iman, la direction de Tawhid ayant assuré à tous ses clients le remboursement des voyages « jusqu’au dernier centime ».
Se faire rembourser, un enjeu de taille
Pour limiter la casse et procéder à des remboursements en engageant le moins possible leurs fonds propres, plusieurs agences entendent jouer leur assurance cette année… ce que ne peuvent faire les structures associatives. C’est le cas, par exemple, d’une mosquée de la région parisienne que nous n’avons pu joindre et qui se retrouve aujourd’hui avec quelque 300 pèlerins à devoir rembourser cette année.
Un coup financier et moral pour les pèlerins lésés
« Ce n’est pas tant l’argent (le problème) mais l’organisation qu’il a fallu mettre en place. J’ai deux enfants, il a fallu les faire garder. Mes parents sont revenus exprès du Maroc pour faire garder mes enfants alors qu’ils auraient pu y rester plus longtemps. Mon mari, qui est kinésithérapeute en libéral, a dû trouver un remplaçant pour les deux semaines d’absence. C’est à perte maintenant pour lui, il ne peut pas annuler ses congés. Moi, je suis salariée, j’ai dû prendre des congés. Je n’ai que 30 jours par an de congé et j’en ai perdu 15 pour rien », fait part la jeune femme, pour qui le préjudice est « au niveau de l’organisation familiale, du travail et, surtout, du moral ».
Face à une telle affaire, il n’est jamais de trop pour rappeler aux personnes souhaitant accomplir le grand pèlerinage l’importance de s’assurer, entre autres critères, que la structure vers laquelle il se tourne soit agréée Hajj par l’Arabie Saoudite afin de limiter au maximum les déconvenues.