POSITIVE AFRICA : 15 IDEES POUR UNE AFRIQUE FORTE

Pour aller de l’avant, le continent doit s’appuyer sur son histoire, sa culture… et sa population, jeune et dynamique, en investissant dans l’éducation, les infrastructures et les technologies.

  1. L’Afrique Est Forte, Résiliente

Il y a quelque temps, dans le monde d’avant, un ami subsaharien nous avait résumé de manière frappante la perspective historique: «Nous aurions pu être comme les Indiens d’Amérique, balayés par la puissance de l’Occident, réduits à des réserves sur notre propre territoire. Mais nous avons survécu, et nous sommes bien vivants.» Oui, l’Afrique a survécu, elle s’est émancipée, elle passe les tempêtes, résiliente. On lui prédit régulièrement le chaos, la crise, l’effondrement. Depuis les années 1960, l’afro- pessimisme est une valeur sûre… L’Afrique ne peut pas réussir… Pourtant, elle change, elle évolue, elle est là, peuplée de 1,2 milliard d’habitants. D’une certaine manière, elle est comme un centre du monde, un point de gravité au cœur de l’humanité, avec ses promesses, ses richesses, ses défis, les enjeux qu’elle porte. On parle, parfois un peu rapidement, d’émergence, de promesses du futur, de continent du XXIè siècle. Et puis, la Covid-19 est arrivée, portée par la mondialisation vers les côtes du continent. Le catastrophisme a repris ses marques médiatiques. L’Afrique, sous-développée, se devait d’être dévastée. «L’effet Pangolin», pour reprendre la note un peu hasardeuse d’un think tank du Quai d’Orsay. Pourtant, pour le moment, le continent est moins touché que le reste du monde. Le virus se propage par le voyage et l’Afrique reste malgré tout encore à l’écart des grands flux de passagers. Les États se sont montré plus réactifs, plus organisés, plus habiles que prévu, malgré des systèmes de santé publique défaillants. Fermeture rapide des frontières extérieures, confinement «souple», isolation des grands centres urbains, sauvegarde des activités informelles, effort d’équipements médicaux. .. Certains pays sont nettement plus frappés que d’autres (Afrique du Sud, Algérie, Égypte…) mais une propagation incontrôlée et dévastatrice du virus n’est pas encore à l’ordre du jour. La crise sanitaire aura surtout révélé les fragilités économiques des États, leur dépendance à l’extérieur, à «l’Empire», pour les biens de consommation, pour l’alimentation, pour la valeur des exportations de matières premières… Mais l’ (infra-) structure tient, l’Afrique ne s’effondre pas, la crise a aussi suscité une surprenante effervescence intellectuelle, artistique, politique, un débat vivant sur les paramètres de demain, les capacités de rebond et une nouvelle émancipation africaine.

  1. Se Réconcilier Avec La Profondeur De Son Histoire

Une parenthèse tragique et non un point de départ: c’est ainsi qu’il faut percevoir les traumatismes de la traite puis du colonialisme. Nonobstant la colonie du Cap (1652) et une poignée de comptoirs, l’Afrique ne fut colonisée que moins d’un siècle, du partage de Berlin (1885) aux indépendances. Un siècle de spoliations qui ne saurait oblitérer des millénaires de complexité, malgré les discours ineptes sur l’homme africain «sans Histoire» (pour ne citer que Hegel…). Chacun connaît Lucy, hominidé de 3,4 millions d’années mis au jour en 1974 en Ethiopie, ou son aîné Tournai, de 7 millions d’années, découvert au Tchad. On pourrait parler de l’Égypte des pharaons ou de la création de la mosquée de Kairouan, au vue siècle. Qui sait qu’au XIVe siècle la fortune de Mansa Moussa, empereur du Mali, était telle que, lorsqu’il partit en pèlerinage à la Mecque avec sa suite, ses dépenses somptuaires firent chuter le cours de l’or? Et que l’on dit de lui qu’il est l’homme le plus riche de l’histoire universelle? Qui sait qu’à la même époque le royaume du Zimbabwe («Maisons de pierres» en shona) commerçait avec la Chine, des siècles avant la «Chinafrique»? Ainsi que le résume le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, «l’Europe apportait à l’Afrique “la” et “sa” civilisation: pour apporter une civilisation à une région, mieux vaut déclarer qu’elle n’en a pas…». Il est donc temps de clouer le bec à Hegel en se réappropriant l’histoire multimillénaire du continent, en l’enseignant à nos enfants. L’avenir, c’est aussi la prise en compte de la richesse du passé.

  1. Réinventer Le Développement Et Promouvoir Le Mode In africa

L’Afrique est riche en ressources, et en énergie… et en talents. Son sous-sol est un trésor et son sol aussi. Elle dispose encore de 50% des réserves mondiales de terres non cultivées ! L’Afrique est riche, mais ses citoyens sont pauvres. Elle est riche, mais encore dépendante d’un système hérité largement du modèle colonial et de son intégration dans l’économie- monde. Elle exporte ce qu’elle ne consomme pas. Et elle importe ce qu’elle consomme – pour schématiser. Pour émerger, il faut sortir de cette dépendance économique, violemment mise en relief par la crise de Covid-19. « On aurait pu promouvoir l’offre locale, mais on a préféré tout importer», déplore l’économiste togolais Kako Nubukpo, qui prône «des solutions endogènes de développement», comme la mise en place de circuits courts entre producteurs et consommateurs. L’essor du made in Africa est impératif pour casser les logiques anciennes. L’industrialisation telle qu’elle est encouragée par des États (les parcs industriels d’Éthiopie) ou des conglomérats (Dangote Group, au Nigeria) est l’une des clés. Certains domaines d’activité sont particulièrement porteurs, comme l’agro-industrie, la pêche ou les énergies renouvelables. Autre clé : accentuer les efforts d’intégration régionale et continentale, pour agrandir la taille des marchés et des opportunités pour les entrepreneurs. Et pour que les États africains commercent entre eux, plutôt qu’avec la défense ou Guangzhou. La création de la Zlecaf, à Niamey, le 7 juillet 2019, montre le long chemin à suivre.

  1. Les Femmes Sont L’avenir Des Hommes

C’est un chiffre connu et retentissant : 80 % des denrées alimentaires consommées en Afrique subsaharienne sont produites par les femmes, alors même que les régimes traditionnels de propriété foncière les excluent largement. Elles sont souvent au cœur du combat politique, de l’action de la société civile, et pourtant elles sont si peu représentées dans les structures réelles du pouvoir! Elles sont députées, rarement Ministres encore moins chefs d’Etat. Le décalage se fait souvent dès l’école, en particulier en Afrique subsaharienne. En 2018, le taux d’alphabétisation était de 73 % pour les garçons et de 59 % pour les filles. Pourtant, du nord au sud du Sahara, les Africaines tiennent à bras-le-corps la cohésion des sociétés, et sont au cœur des transformations du continent. Elles deviennent entrepreneures par volonté de sortir de la précarité. D’après le géant américain de la carte de paiement Mastercard, l’Afrique est la seule région du monde où l’activité entrepreneuriale est dominée par les femmes. Un nombre incalculable de petites entreprises et de commerces. En particulier dans les capitales ou les grandes villes, où les dogmes patriarcaux sont plus souples. Et avec de faibles investissements en capital. En tête de liste des pays champions de l’entrepreneuriat féminin: l’Ouganda, le Ghana, le Botswana, le Malawi, l’Angola, le Nigeria, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie, la Tunisie et l’Algérie. Pour aller plus vite, plus loin, l’Afrique doit s’appuyer sur sa moitié féminine, aller au-delà des discours officiels et des images d’Épinal de la Marna Benz. Les femmes émancipées sont bien l’avenir de l’Afrique.

  1. Placer L’école Et L’éducation Au Cœur Du Débat

C’est la base du développement. La pierre centrale de l’émancipation et de la sortie de la pauvreté ; une école pour tous, et de qualité. Pourtant, le débat public sur l’éducation africaine reste embryonnaire. On ne parle pas assez de moyens, de programmes, d’innovations. Or, si les statistiques démographiques ne mentent pas, il faudra scolariser près d’un demi-milliard d’enfants dans les trente ans à venir. Des chiffres, qui soulignent la magnitude du défi africain en matière d’éducation et de formation. Et les potentialités d’un secteur sous-estimé. On ne part pas de rien. L’école postcoloniale existe. Les capacités d’accueil ont globalement doublé entre 2000 et 2015. Les taux d’alphabétisation progressent, avec évidemment de fortes disparités (l’Afrique de l’Ouest restant à la traîne). Aujourd’hui, les familles ont conscience de l’importance stratégique de la scolarité. Chaque année d’enseignement supplémentaire se traduit par de nouvelles opportunités de revenu. L’Afrique fait face à une double urgence. Garantir un accès universel et de qualité à l’éducation de base. Et former les cadres, les techniciens, les développeurs dont le continent aura besoin pour assurer son émergence. Les pistes sont nombreuses pour répondre à cette double exigence : formation massive et adaptée des maîtres, utilisation de nouvelles technologies, partenariat public privé, etc. Mais, pour que cela marche, il faut sortir la question de l’éducation du sous-sol des préoccupations politique, la sortir du tiroir des équilibres budgétaires pour la placer au centre du débat sociétal.

  1. Tous Pour Tous: Prioriser La Lutte Contre La Grande Pauvreté

Lisez bien ce chiffre. Aujourd’hui, malgré l’émergence et les beaux discours sur les nouvelles classes moyennes, près de 40 % d’africains, soit plus de 400 millions de personnes, vivent au-dessous du seuil de l’extrême pauvreté, fixé à 1,90 dollar par jour (1,70 euro) selon les critères internationaux. Des progrès ont été réalisés, mais bien en deçà de la performance des pays asiatiques. Selon la Banque mondiale: «L’extrême pauvreté devient un problème essentiellement africain. » Qui se voit lorsque l’on s’éloigne des centres. Au-delà des causes structurelles (crises, enclavement, gouvernance…) de ce fléau, l’Afrique est un continent fortement inégalitaire. La croissance est là, les richesses s’accumulent, mais les inégalités sont criantes. La croissance récente a profité à ceux qui «avaient déjà»: les capitales, les villes côtières, les élites déjà formées. Lesquelles intègrent sans trop de difficultés ces béances dans la société. Le rapport de l’Afrique à la pauvreté, à sa pauvreté paraît véritablement féodal… Redistribution, protection sociale, inclusivité, soutien aux plus fragiles doivent redevenir des urgences, des éléments constitutifs de la modernité. L’aide internationale, le soutien aléatoire des G7 et autres G20 ne sont pas négligeables, mais l’effort doit avant tout venir de l’intérieur. «Il est temps que les Africains prennent leur destin en main, retrouvent confiance en eux et refusent d’être considérés comme la dernière frontière obscure de l’humanité. Qui mieux que nous savons ce dont nous avons besoin?» écrit l’économiste Felwine Sarr.

  1. L’Afrique N’est Pas (Encore) Surpeuplée

L’Afrique devrait compter plus de 2 milliards d’habitants en 2050. Mais s’il est vrai que certains pays ploient sous le poids démographique (Égypte : 100 millions d’habitants sur une surface utile égale à la superficie du Togo…), l’Afrique n’est pas (encore) surpeuplée : sa densité moyenne n’est que de 43 habitants au kilomètre carré, contre 108 en Europe. Et l’espace est vaste. Pourtant, il y a déjà urgence. Ainsi, le Niger, 24 millions d’habitants, connaît le plus fort taux de fécondité du globe ; jusqu’à 8,4 enfants par femme dans certaines régions. À ce rythme, ce pays pourrait compter 80 millions d’habitants en 2050! Les courbes pourraient pourtant s’atténuer. Les campagnes de sensibilisation font évoluer les mentalités, l’idée qu’une famille peu nombreuse soit un gage de prospérité fait son chemin. Et si la natalité chute, l’Afrique pourrait bénéficier du fameux «dividende démographique». Explication: une population de jeunes actifs avec peu d’enfants et de personnes âgées à charge a davantage d’argent pour consommer, investir et épargner. Ce dividende démographique fut l’un des ingrédients du miracle chinois. Alors, passons le message : contrôle des naissances!

  1. Le Métissage, Pour Rassembler Babel

En Afrique, du nord au sud, on aime se référer, se raccrocher à ses origines, à ses frontières, à son village, à sa région. L’ethnie donne lieu à d’interminables discussions sur sa définition, son pourtour, son concept. Le clanisme, le régionalisme restent des valeurs fortes, fondatrices, face peut-être à la vastitude africaine. Dans ce continent de 30 millions de km2 (où l’on pourrait insérer l’Europe, les Etats-Unis et la Chine), on parle près de 1500 langues et dialectes. Les frontières modernes (55 États) traversent souvent des réalités historiques anciennes, séparant d’un trait administratif les peuples et les communautés. La spiritualité est forte. Islam, chrétienté, évangélisme, animismes s’entrechoquent et tentent de coexister avec d’immenses difficultés dans des espaces communs. L’Afrique est une gigantesque tour de Babel de près de 1,3 milliard d’habitants… Dans ce tumulte, les ponts sont nécessaires. Il faut aller au-delà des identités originelles, créer de nouveaux espaces communs. L’idée est de se tendre la main au-delà des fractures locales, de faire coïncider les nord, les sud, les Est et les Ouest dans un même couple, dans une même famille, dans une même entreprise, dans les mêmes cercles d’action. De promouvoir les partis politiques qui transcendent les frontières ethniques ou régionales. De tous ressembler petit à petit au Cap-Vert, avec ses 70 % de population métisse. Au XXIe siècle, le métissage est une idée neuve et urgente. Le métissage n’est pas biologique, tous les êtres humains sont le produit d’un pool génétique de même nature. Le métissage n’est pas d’aller se marier en Europe ou à l’autre bout de son pays (quoique ce soit un bon début)… Le métissage est acte culturel, sociétal et politique de rencontres, d’échanges, d’hybridations et de recompositions. «Une nouvelle conscience identitaire où l’appartenance humaine prendrait le pas sur la somme des appartenances», pour reprendre une citation célèbre (Edwy Plenel, journaliste français). L’Afrique moderne sera métisse !

  1. La Laïcité, Pour Vivre Ensemble

C’est une idée qui reste révolutionnaire, et tellement utile, nécessaire! L’État ne doit pas avoir de religion. Le concept est présent dans de nombreuses constitutions du continent avec des périmètres d’application assez flous. En Tunisie, le texte fondamental «garantit la liberté de conscience et de croyance», tout en affirmant que l’islam est religion d’État, mais que la nature «civile» de l’État est garantie… Au Bénin, le texte fondamental invoque la laïcité mais le Président doit prêter serment devant Dieu et les «mânes des ancêtres». Au Sénégal, l’État est laïc, mais les confréries pèsent d’un poids particulièrement lourd sur la vie publique. Les complexités sont nombreuses, entretenues. Mais le principe devrait être simple. Chacun est libre de croire, de pratiquer, mais les pouvoirs publics doivent agir pour l’intérêt de tous. Dans une Afrique où les territoires ne sont pas forcément religieusement homogènes, où les minorités sont présentes, l’État doit être «au-dessus». La laïcité n’est pas un concept absolu, il ne s’agit pas de «devenir la France», de pratiquer une lecture révolutionnaire du concept, mais de garantir la neutralité de l’État. Le développement du continent ne pourra pas se faire sans une véritable clarification des domaines du temporel et du spirituel. Une clarification qui permettrait aussi de couper court aux multiples effets du clientélisme politique. L’État n’a pas de religion, n’appartient à aucune «région», à aucune «ethnie», à aucune culture particulière. L’État, c’est nous tous !

  1. Investir l’urbain

C’est le récit habituel, celui de mégacités surpeuplées, dangereuses, dépassées sur le plan des infrastructures, des besoins sociaux. On égraine les chiffres de ces monstres urbains: Lagos (20 millions d’habitants), Le Caire (10 millions), Kinshasa (11 millions), Casablanca (7 millions), Abidjan (5 millions). On a la sensation que cela n’est pas vraiment contrôlable, que ces villes, et les autres aussi, peuvent s’étendre ainsi à l’infini, dans un chaos à peine maîtrisé… L’Afrique s’urbanise vite, la croissance démographique accentue ce phénomène et, avec la pression, les villages et les petits bourgs deviennent eux-mêmes des villes. Le paysage change littéralement mois après mois. L’urbanisation devient un aspect clé du développement. Pour émerger véritablement, il faudra investir dans les infrastructures, les transports, la connectivité, la circulation. Il faudra reverdir aussi, lutter contre la destruction de l’environnement et des littoraux. Installer la ville au cœur des politiques publiques à moyen terme. D’autant que ces cités sont aussi de formidables creusets de modernité et de changement. C’est là que s’invente la culture africaine de ce siècle. C’est là que se créent les métissages si nécessaires. C’est là, plus qu’ailleurs, que les démunis ont une chance d’accéder à l’école, à la formation. Et de sortir de la précarité. C’est là que les femmes se libèrent en partie du carcan patriarcal et des préjugés. Qu’elles gagnent en autonomie. Une citadine aura davantage accès à l’éducation, à la santé, au travail salarié qu’une femme isolée dans le monde rural. L’urbanisation accélérée contribue à une diminution rapide de la fécondité et à ralentir la croissance démographique. C’est déjà le cas au Maghreb.

  1. Le Défi De La Terre, L’agroécologie

La perspective est glaçante : selon l’Agence française de développement (AFD), «face à son essor démographique et au défi de la sécurité alimentaire, le confinent doit tripler sa production agricole à l’horizon 2050». Mais des solutions existent: face à l’épuisement des sols, au coût des intrants et au réchauffement climatique, un nombre croissant d’agriculteurs africains se tournent vers l’agroécologie. Ou, plus exactement, retournent à l’agroécologie : en Afrique, il y avait toujours des arbres dans les champs. La monoculture est un apport du colonialisme et de ses plantations exportatrices. Dès les années 1980, au Burkina Faso, Thomas Sankara planchait sur l’agroécologie et lançait l’idée d’une muraille verte entre Dakar et Djibouti afin de freiner la désertification. Amorcée en 2005, la muraille verte, imaginée comme une «ligne Maginot écolo » (selon l’expression de l’agronome français Marc Dufumier), a depuis pris la forme discontinue d’une myriade d’initiatives de différentes communautés villageoises… et fait l’objet de coups de com’ étatiques (tels ces 4 milliards d’arbres plantés en six mois, en 2019, en Éthiopie, via la mobilisation de toute la population!). La bonne nouvelle, c’est que ça semble fonctionner : là où l’on reboise, la pluviométrie revient.

  1. La Tech, L’innovation, C’est Possible

C’est la fameuse théorie du leapfrog, du «saut de grenouille», de ce bond quantitatif et qualitatif qui permettrait à l’Afrique de raccourcir les étapes du développement grâce au numérique et aux nouvelles technologies. Et là, nous ne sommes pas dans le domaine de la «pensée magique» ni du wishfull thinking. De Casa à Abidjan, de Yaoundé à Nairobi, la téléphonie mobile permet à des millions d’Africains d’avoir un accès rapide et économique aux contenus et à l’infor­mation: 80% des Africains disposent actuellement d’une couverture sans fil. Ils peuvent utiliser leur mobile pour payer et faire des transactions.  Aujourd’hui , la proportion d’Africains clients d’une banque en ligne (20 %) est cinq fois supérieure à celle du reste du monde (5 %). Une culture de start-up est en train de naître dans tous les grands centres urbains, en particulier dans les domaines de la technologie financière, de l’énergie, du développement durable, de l’agriculture de demain. Dopée par une nouvelle culture entrepreneuriale chez les jeunes mais aussi par l’afflux des capitaux globaux. En 2019, les start-up africaines ont fait tomber dans leur escarcelle plus de 2 milliards de dollars, selon Partech Africa : 74% de plus que l’année précédente. L’inventivité ne manque pas, y compris pour des développements modestes mais pratiques. Mais pour s’imposer et participer plus activement à l’émergence du continent, le secteur a besoin d’un écosystème fonctionnel: un véritable soutien public, un environnement juridique et fiscal motivant, des instruments financiers et locaux adaptés, de la formation pour les futurs développeurs…

  1. Les Cultures, C’est Le «Soft Power Africain »

Dans l’art contemporain, dans la culture, dans le cinéma, dans la musique, dans la mode, dans l’écriture, dans la philosophie, l’Afrique s’exprime par elle-même, de manière authentique, et influence le monde. Ses formes, ses couleurs, ses sons, ses pensées inspirent « l’autre » aux quatre coins de la planète. On pourrait citer une multitude de noms, dans une immense cohorte créatrice, pour mesurer la force de cette vague qui a emmené l’Afrique bien au-delà de ses frontières : Chimamanda Ngozi Adichie, Samuel Fosso, Mahi Binebine, Imane Ayissi, Alain Mabanckou, Salif Keïta, Magic System, Richard Bona, Abdoulaye Konaté, Ousmane Sow, Adama Paris, Burna Boy ou Wizkid, Angélique Kidjo ou Oumou Sangaré… On pourrait parler de la nouvelle vague, plus politique, du cinéma tunisien, du Nollywood, qui réinvente la série et la fiction africaine. On pourrait parler de l’économiste Felwine Sarr ou du philosophe Souleymane Bachir Diagne, qui renouvellent le regard sur notre modernité. Cette force créatrice est un facteur de fierté, d’émancipation en «interne». Les personnes qui l’incarnent sont des modèles pour les plus jeunes. Mais c’est aussi une projection positive de l’Afrique dans le reste du monde. Sa séduction. Son soft power. Un véritable pouvoir d’attraction positive.

  1. Ouvrir Les Portes Aux Diasporas

Il y aurait environ 170 millions d’afro-descendants dans le monde, selon l’Union Africaine. L’une des diasporas humaines les plus importantes, marquée par l’histoire tragique de la traite, à l’origine de la mondialisation de l’homme noir. Un exode forcé aux quatre coins ou presque de la planète qui a même donné naissance à un fameux président des États-Unis… Un exode plus récent, aussi, du nord au sud du Sahara, résultat plus direct de la colonisation, des migrations ouvrières des années 1960 et 1970  pour faire tourner l’usine Occident. Et qui ont fait des enfants, les 2G et les 3G… Il y a les images plus récentes, tragiques, de ceux qui ont décidé de traverser les mers coûte que coûte pour chercher un avenir meilleur. Et d’autres aussi qui ont «réussi», sont venus faire des études, faire carrière dans la politique, le business, l’entreprise, dans la recherche, la médecine, le sport… Et qui s’installent. Ils forment une élite transcontinentale. Pour l’Afrique, tous ces enfants sont importants. Ils ont de l’expérience, ils sont connectés au monde, ils investissent souvent chez eux. Ils sont parfois tentés par le retour. La «fuite des cerveaux» est un thème récurrent des discours des gouvernements, qui multiplient les programmes pour attirer ces citoyens d’ailleurs au talent ou à l’expérience précieuse. Mais il faudrait faire plus. Les «diaspos», ce ne sont pas seulement des ressortissants à qui l’on donne encore le droit de vote au compte-gouttes, dont on redoute l’influence car on les soupçonne d’être «différents», de ne pas «penser comme il faut». Il ne faut pas les cantonner non plus à leur rôle de pourvoyeurs de fonds de leurs familles, palliant les carences des politiques sociales locales. Les diasporas sont une force de changement, de progrès. Elles créent ce pont précieux entre l’Afrique et le reste du monde.

  1. Leadership, Leadership, Leadership!

Le concept n’est pas si simple. Le mot vient de l’anglais et de la culture anglo-saxonne. C’est avant tout un concept managérial. Il définit la capacité d’un individu à conduire, à diriger avec efficacité d’autres individus ou organisations vers un but commun ou certains objectifs de performance. On dira alors qu’un leader est quelqu’un qui est capable de guider, d’influencer et d’inspirer, de coaliser. Et d’obtenir des résultats. L’Afrique contemporaine est complexe, riche, pauvre, multiple, diverse, créative, résiliente, en danger… Elle a besoin de leadership pour affronter ces défis. De leadership politique, économique, sociétal. De femmes et d’hommes qui tracent le chemin. Elle a besoin que les meilleurs, dès l’école, soient encouragés, même s’ils sont différents. Elle a besoin de soutenir ses entrepreneurs, ses artistes, de les valoriser. D’en faire des exemples. L’Afrique a besoin de femmes et d’hommes d’État soucieux de réussir, de faire avancer la communauté, qui se démarquent avec efficacité des archaïsmes, de la gestion postcoloniale de «papa». Et les citoyens doivent exiger le leadership de leurs dirigeants. Le leadership est une valeur positive. Et qui doit être une valeur africaine. Regardez autour de nous. Combien de patrons, de politiciens, inefficaces, incompétents, dépassés? Les erreurs se payent cash… « C’est quand la vraie tempête arrive, me dit l’un de nos amis qui a particulièrement bien réussi, que l’on voit l’importance et la valeur du leadership. Regardez, les Anglais ont élu Boris Johnson et les Américains Donald Trump… Deux très grandes puissances aujourd’hui mises à genoux par les errements de leurs “leaders”»…

Par Cédric Gouverneur et Zyad Limam

AFRIQUE MAGAZINE [407-408  — Aout – Septembre 2020 page 26-37]