Le chef de l’État turc, Recep Tayyip Erdogan, a été réélu dès le premier tour dimanche pour un nouveau mandat aux pouvoirs renforcés, venant à bout d’une opposition pourtant revigorée lors d’élections présidentielle et législatives âprement disputées.
« Le vainqueur de cette élection, c’est la démocratie, la volonté nationale. Le vainqueur de cette élection, c’est chacun des 81 millions de nos concitoyens », a clamé dimanche 24 juin Recep Tayyip Erdogan, tandis que ses supporters l’acclamaient.
Après quinze années de règne, Erdogan a été réélu pour un nouveau mandat de cinq ans. Il a savouré sa victoire en s’adressant dans la nuit de dimanche à lundi à des milliers de partisans réunis à Ankara devant le siège de son parti islamo-conservateur, l’AKP.
Majorité absolue
Les autorités électorales turques ont indiqué tôt lundi qu’Erdogan avait obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, ce qui lui permet d’être élu dès le premier tour face à une opposition pourtant farouche, à l’image du social-démocrate Muharrem Ince. Il s’est imposé comme le principal rival d’Erdogan pour la présidentielle, réveillant notamment une opposition affaiblie par ses défaites successives.
D’après l’agence de presse étatique Anadolu, Erdogan est arrivé en tête avec un score de 52,5 % après le dépouillement de plus de 99 % des urnes, et l’alliance dominée par l’AKP menait avec 53,61 % dans le volet législatif du scrutin.
Avec 30,7 % des voix, son principal opposant Muharrem Ince est arrivé en seconde position, et l’alliance anti-Erdogan, formée par plusieurs partis d’opposition pour le volet législatif du scrutin, a récolté 34 % des voix.
Ince n’a fait aucun commentaire concernant les résultats dimanche soir, convoquant une conférence de presse pour lundi 25 juin à la mi-journée à Ankara.
Un pouvoir désormais renforcé
Erdogan s’est imposé comme le dirigeant turc le plus puissant depuis le fondateur de la République, Mustafa Kemal Atatürk. Il a transformé la Turquie à coups de grands projets d’infrastructures et en libérant l’expression religieuse, et a fait d’Ankara un acteur diplomatique clé.
Mais ses détracteurs accusent le « Reis », âgé de 64 ans, de dérive autocratique, en particulier depuis la tentative de putsch de juillet 2016, suivie de purges massives qui ont touché des opposants et des journalistes et suscité l’inquiétude de l’Europe.
Sa victoire aux élections de dimanche accrue davantage son pouvoir, car le scrutin marque le passage du système parlementaire en vigueur à un régime présidentiel où le chef de l’État concentre la totalité du pouvoir exécutif, aux termes d’un référendum parlementaire qui s’est tenu l’an dernier.
Erdogan présente le nouveau système présidentiel auquel il va accéder comme nécessaire pour doter la Turquie d’un exécutif stable, mais ses détracteurs l’accusent de vouloir monopoliser le pouvoir avec cette réforme qui supprime notamment la fonction de Premier ministre et permet au président de gouverner par décrets.
Une victoire certaine
Plusieurs milliers de partisans de Erdogan se sont rassemblés dans la soirée aux abords de la résidence du président à Istanbul, chantant et brandissant des drapeaux.
« Nous savions à 100 % que nous allions gagner, Erdogan est notre champion », a dit Handan Boztoy, venue avec sa fille fêter la « victoire ». « Les résultats ne changeront pas, ces 16 dernières années c’est toujours Erdogan qui a gagné. Nous sommes derrière lui en tant que nation ».
« La victoire d’Erdogan est incontestablement le signe de sa grande popularité auprès de l’électorat turc, en particulier l’électorat conservateur dans les régions rurales d’Anatolie, et le signe de sa résilience face à une opposition unie », estime Jana Jabbour, docteure associée au CERI/Sciences Po et spécialiste de la Turquie.
S’il pensait mettre toutes les chances de son côté en convoquant ces élections pendant l’état d’urgence et plus d’un an avant la date prévue, Erdogan a été rattrapé lors de la campagne par la dégradation de la situation économique et surpris par un sursaut de l’opposition.
Voyant dans ces élections leur dernière chance d’arrêter Erdogan dans sa quête d’un pouvoir incontestable, des partis aussi différents que le CHP (le parti social-démocrate de Muharrem Ince), Iyi (nationaliste) et le Saadet (islamiste) ont noué une alliance inédite pour les législatives, avec l’appui du HDP (prokurde).
Une campagne inégale
La campagne a été marquée par une couverture médiatique très inéquitable en faveur du président turc, dont chaque discours a été retransmis in extenso par les télévisions.
Le candidat du parti prokurde HDP, Selahattin Demirtas, a été contraint de faire campagne depuis une cellule : accusé d’activités « terroristes », il est en détention préventive depuis 2016.
Selon les résultats partiels, Demirtas a obtenu près de 8 % des voix et son parti a franchi le seuil de 10 % au niveau national, lui permettant de siéger au Parlement.
Les craintes de fraudes ont été vives pendant le vote, notamment dans le sud-est à majorité kurde. Les opposants, qui avaient mobilisé de nombreux observateurs, ont dénoncé des irrégularités, notamment dans la province de Sanliurfa.