Rentrée Pastorale 2020-2021 JPK Définitif

 

MESSAGE DU CARDINAL JEAN PIERRE KUTWà A L’OCCASION DE LA RENTREE PASTORALE 2020-2021

THEME DE L’ANNEE : POUR VIVRE EN COMMUNION, FAITES AUX AUTRES, CE QUE VOUS VOULEZ QU’ILS FASSENT POUR VOUS Cf. Mt.7, 12 

Abidjan, samedi 14 novembre 2020

 

INTRODUCTION

‘‘Des décennies durant, le monde a semblé avoir tiré leçon de tant de guerres et d’échecs et s’orienter lentement vers de nouvelles formes d’intégration… Mais l’histoire est en train de donner des signes de recul. Des conflits anachroniques considérés comme dépassés s’enflamment, des nationalismes étriqués, exacerbés, pleins de ressentiments et agressifs réapparaissent. Dans plus d’un pays, une idée d’unité du peuple et de la nation, imprégnée de diverses idéologies, crée de nouvelles formes d’égoïsme et de perte du sens social sous le prétexte d’une prétendue défense des intérêts nationaux.

Ceci nous rappelle que «chaque génération doit faire siens les luttes et les acquis des générations passées et les conduire à des sommets plus hauts encore. C’est là le chemin. Le bien, comme l’amour également, la justice et la solidarité ne s’obtiennent pas une fois pour toutes ; il faut les conquérir chaque jour. Il n’est pas possible de se contenter de ce qui a été réalisé dans le passé et de s’installer pour en jouir comme si cette condition nous conduisait à ignorer que beaucoup de nos frères subissent des situations d’injustice qui nous interpellent tous ».’’ Lettre Encyclique Fraterlli Tutti du Saint Père François, sur la Fraternité et l’Amitié sociale (n°10 et 11).

Aux prêtres,

Aux religieux et religieuses,

Aux agents pastoraux,

Aux fidèles laïcs du Christ,

Aux hommes et aux femmes de bonne volonté,

Tirer leçon de tant de guerres et d’échecs et s’orienter lentement vers de nouvelles formes d’intégration ; comprendre que certaines idéologies créent de nouvelles formes d’égoïsme et de perte du sens social sous le prétexte d’une prétendue défense des intérêts nationaux ; se rappeler que chaque génération doit faire siens les luttes et les acquis des générations passées et les conduire à des sommets plus hauts encore ; enfin, accepter que le bien, comme l’amour également, la justice et la solidarité ne s’obtiennent pas une fois pour toutes et qu’il faut les conquérir chaque jour. Voici en quelques mots résumés, les signes de recul dont parle le Pape François et qui sont autant de défis à relever si nous ne voulons pas assister, acteurs passifs et complices, au déroulé de notre histoire nationale !

Ces signes de recul, ce sont ceux qui finissent toujours par aboutir ‘‘aux rêves qui se brisent en morceaux’’ comme dit le Pape François, dans la même Lettre encyclique. Et ces rêves qui se brisent en morceaux, c’est le spectacle désolant que nous pouvons offrir à nos concitoyens, si notre conscience n’est pas assez aiguisée pour comprendre que le pire n’est pas derrière nous, que nous y sommes pratiquement, et que nous courons vers une tragédie si rien n’est fait!

L’an dernier, le choix du thème de notre année pastorale, ‘‘pour vivre en communion, faites aux autres ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous’’, devrait impulser notre marche commune pour bâtir ensemble l’Eglise-communion autonome au service de tous. Cette Eglise, faut-il le rappeler, a non seulement pour obligation d’organiser la solidarité en son sein, mais est tenue d’occuper sa place dans la participation à la construction d’une société pacifiée où il fait bon vivre pour tous.

Alors que nous espérions que ce thème bien vécu, amorce un nouveau contrat social dans notre pays, nous avons été freinés dans notre élan par la pandémie de la Covid-19, cette pandémie qui n’a pas encore fini de nous livrer ses secrets et qui nous invite à davantage de prudence; cette pandémie qui, comme disait le pape François, ‘‘a réveillé un moment la conscience que nous constituons une communauté mondiale qui navigue dans le même bateau, où le mal de l’un porte préjudice à tout le monde. Nous nous sommes rappelés que personne ne se sauve tout seul, qu’il n’est possible de se sauver qu’ensemble… [car] «la tempête démasque notre vulnérabilité et révèle ces sécurités, fausses et superflues, avec lesquelles nous avons construit nos agendas, nos projets, nos habitudes et priorités. […]

À la faveur de la tempête, est tombé le maquillage des stéréotypes avec lequel nous cachions nos” ego “toujours préoccupés de leur image ; et reste manifeste, encore une fois, cette [heureuse] appartenance commune […], à laquelle nous ne pouvons pas nous soustraire : le fait d’être frères.’’ Ainsi donc, a été retardé l’élan de solidarité et de fraternité que nous voulions pour notre pays et dont notre archidiocèse d’Abidjan devrait être le ferment. Mais quel est l’état des lieux alors que s’ouvre pour nous cette nouvelle année pastorale 2020-2021?

I. Etat des lieux

Vous vous rappelez encore certainement l’état des lieux que j’avais dressé l’an dernier et qui reste encore d’actualité. Je me permets de le reprendre : ‘‘…Pour ma part, je souhaite que l’Église continue patiemment et inlassablement son œuvre de bon Samaritain; en effet, dans une longue période, des régimes aujourd’hui disparus ont fortement éprouvé les Africains et affaibli leurs capacités de réaction: l’homme blessé doit retrouver toutes les ressources de son humanité. Les fils et les filles d’Afrique ont besoin de présence compréhensive et de sollicitude pastorale. Il faut les aider à rassembler leurs énergies pour le bien commun.’’ Exhortation Apostolique Ecclesia in Africa n° 41 du saint Pape Jean Paul II

Rassembler nos énergies pour le bien commun mais également faire en sorte que chaque habitant de ce continent et partant de notre pays puisse non seulement jouir des biens de la communauté nationale mais aussi mener une vie calme, paisible et digne, tel est le combat qui vaut la peine d’être mené. C’est aussi cela le combat du Christ pour notre humanité quand il affirme : ‘‘Moi, je suis venu pour que les hommes aient la vie, et qu’ils l’aient en abondance’’ Jn. 10, 10

Le constat fait hier par les Pères lors du premier synode, continue aujourd’hui encore d’être d’actualité : ‘‘dans un continent saturé de mauvaises nouvelles, comment le message chrétien est-il « Bonne Nouvelle » pour notre peuple ? Au milieu d’un désespoir qui envahit tout, où sont l’espérance et l’optimisme qu’apporte l’Évangile ? L’évangélisation promeut nombre de ces valeurs essentielles qui font tellement défaut à notre continent: espérance, paix, joie, harmonie, amour et unité’’ Ecclesia in Africa n° 40

Si le constat est alarmant, il n’est pas pour autant désespérant. En effet et comme le souligne le Saint Pape Jean Paul II dans la même exhortation, ‘‘les « vents de changement » soufflent fortement dans beaucoup de lieux du continent, le peuple demandant avec toujours plus d’insistance la reconnaissance et la promotion des droits et des libertés de l’homme. À cet égard je note avec satisfaction que l’Église en Afrique, conformément à sa vocation, se situe résolument du côté des opprimés, des peuples sans voix et marginalisés. Je l’encourage fermement à continuer à porter ce témoignage. L’option préférentielle pour les pauvres est une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Église. […] L’intérêt actif pour les pauvres – qui sont, selon la formule si expressive, les pauvres du Seigneur – doit se traduire, à tous les niveaux, en actes concrets afin de parvenir avec fermeté à une série de réformes nécessaires.’’ Ecclesia in Africa 44

Cette option préférentielle pour les pauvres, c’est celle que nous décrit d’une certaine manière le Pape émérite Benoit XVI dans l’Exhortation apostolique Africae Munus lorsque commentant l’enseignement de Jésus à la piscine de Bethesda, il affirme que ‘‘ l’accueil de Jésus offre à l’Afrique une guérison plus efficace et plus profonde que toute autre. Comme l’apôtre Pierre l’a déclaré dans les Actes des Apôtres (3, 6), je redis que ce n’est ni d’or, ni d’argent que l’Afrique a d’abord besoin ; elle désire se mettre debout comme l’homme de la piscine de Bethesda ; elle désire avoir confiance en elle-même, en sa dignité de peuple aimé par son Dieu. C’est donc cette rencontre avec Jésus que l’Église doit offrir aux cœurs meurtris et blessés, en mal de réconciliation et de paix, assoiffés de justice. Nous devons offrir et annoncer la Parole du Christ qui guérit, libère et réconcilie.’’ Africae Munus 3 § 149

Cette parole du Christ qui guérit, libère et réconcilie, est celle qui a besoin d’être davantage enracinée dans le cœur de nos fidèles, que je considère à raison comme le levain à même de faire lever la pâte d’un nouveau style de vie chez nous en Côte d’Ivoire. Ce nouveau style de vie, cette nouvelle manière de vivre avec les autres, est une urgence si nous scrutons bien ce qu’est devenu le vivre ensemble dans notre pays.

Depuis quelques années, et je l’ai déjà affirmé, en Côte d’Ivoire, on appartient avant tout à l’ethnie du lieu. La localisation est devenue importante. Même si, dans le cosmopolitisme des villes, les populations vivent ensemble, sans grandes difficultés apparentes, on désigne volontiers les personnes par leur ethnie. Qu’est-ce qu’il est ? Cela veut dire : de quelle région vient-il ? Quand on cherche quelqu’un, c’est presque toujours par son identité ethnique ou nationale qu’on vous l’indique. Nous avions déjà à cette époque, un signe annonciateur des difficultés que nous rencontrons aujourd’hui.

Toujours à propos de l’état des lieux, je voudrais rappeler à votre souvenir, les propos que j’ai tenus lors de la messe pour la paix en décembre 2018, propos où j’avais souligné des faits qu’il me plaît de reprendre ici encore :

  • Il se dit de plus en plus en Côte d’Ivoire que les grands marchés de l’Etat sont passés de gré à gré et que ce sont toujours les mêmes personnes qui en tirent profit. Si cela est avéré, ne se trouvent-ils pas en Côte d’Ivoire, d’autres compétences à même de réaliser ces marchés ? Le clientélisme, le favoritisme, la corruption sont de bien vilains défauts dont nous devons nous délaisser si nous voulons une Côte d’Ivoire vraiment une et prospère et cela ne saurait se faire en se passant de compétences avérées !

 

  • L’actualité récente de notre pays a été marquée par les élections locales et générales que nous avons tous suivi avec un certain intérêt pour la simple raison qu’elles nous apparaissaient comme un ballon d’essai pour les élections de 2020. Sans être pessimiste ou alarmiste encore une fois, ce qui nous a été donné de voir n’augure pas des lendemains calmes et sereins. Faudra-t-il qu’avant ces échéances importantes pour la vie de notre nation, nous exigions des politiques une charte de bonne conduite ? Nous n’avons qu’un seul pays, la Côte d’Ivoire ! Notre devise, ne nous invite-elle pas à l’Union ? Est-ce pour nous une simple vue de l’esprit, un slogan vide et creux, un vœu pieux ?

 

  • Comme je le disais dans mon message de Noël pour cette année là ,si l’horizon 2020 nous interroge tous, un regard rétrospectif sur notre vivre ensemble ainsi que les dernières élections d’octobre et de décembre 2018, nous commandent de renouer au nom de Dieu avec cette sagesse qui a fait le bonheur et la joie de vivre sur cette terre de Côte d’Ivoire. Rappelons-nous que la crise postélectorale a semé désarroi et désolation. Elle a meurtri le cœur des hommes et éprouvé la foi des croyants. A tous, elle a imposé chagrin et fardeau et mis à mal ce goût d’éternité que Dieu nous propose à tous en nous donnant son Fils ! (voir message pour la messe de la paix 2018)

 

Les problèmes qui sont les nôtres touchent également à notre écosystème et le Pape émérite Benoit XVI ne croit pas si bien dire quand il affirme que ‘‘des hommes et des femmes d’affaires, des gouvernements, des groupes économiques s’engagent dans des programmes d’exploitation, qui polluent l’environnement et causent une désertification sans précédent. De graves atteintes sont portées à la nature et aux forêts, à la flore et à la faune, et d’innombrables espèces risquent de disparaître à tout jamais. Tout cela menace l’écosystème tout entier et, par conséquence la survie de l’humanité.’’ Africae Munus 2 § 80

C’est volontairement que je passe sous silence le phénomène des enfants en conflits avec la Loi comme on les appelle ici chez nous. Je ne voudrais pas citer non plus les récentes attaques perpétrées contre des postes de polices et autres commissariats qui ne sont pas sans nous rappeler un passé récent mais douloureux !

À dessein, je passe encore sous silence les bruits de bottes dont la teneur n’est pas du tout rassurante. Que dire de nos écoles et universités publiques toujours sous la menace de grèves ; et notre système sanitaire, que devient-il ? Puis-je me permettre de souligner en passant, la dérive de notre jeunesse, espoir de demain ? Serait-ce exagéré de dire que le pays inquiète sur le plan social à l’orée de l’année 2020 qui semble toujours cristalliser nos regards ?

Comme vous le savez certainement, ‘‘…tout programme fait pour augmenter la production, n’a en définitive de raison d’être qu’au service de la personne. Il est là pour réduire les inégalités, combattre les discriminations, libérer l’homme de ses servitudes, le rendre capable d’être lui-même l’agent responsable de son mieux-être matériel, de son progrès moral et de son épanouissement spirituel. Dire: développement, c’est en effet se soucier autant de progrès social que de croissance économique.

Il ne suffit pas d’accroître la richesse commune pour qu’elle se répartisse équitablement. Il ne suffit pas de promouvoir la technique pour que la terre soit plus humaine à habiter. Les erreurs de ceux qui les ont devancés doivent avertir ceux qui sont sur la voie du développement, des périls à éviter en ce domaine.

La technocratie de demain peut engendrer des maux non moins redoutables que le libéralisme d’hier. Économie et technique n’ont de sens que par l’homme qu’elles doivent servir. Et l’homme n’est vraiment homme que dans la mesure où, maître de ses actions et juge de leur valeur, il est lui-même auteur de son progrès, en conformité avec la nature que lui a donnée son Créateur et dont il assume librement les possibilités et les exigences. Populorum Progressio 1 § 34

Etre soi-même auteur de son progrès est une grande responsabilité qui invite à prendre conscience que l’homme ne vit pas seul mais en société. Ce vécu en société induit indubitablement des droits et des devoirs pour tous selon les lois dont nos Etats-nations se sont dotés librement. Comme vous le savez certainement, L’Eglise, a de tout temps fourni une contribution importante, et même décisive, par son engagement en faveur de la défense et de la promotion des droits de l’homme : dans des milieux fortement imprégnés d’idéologie, où les prises de position radicales obscurcissaient le sens commun de la dignité humaine, l’Eglise a affirmé avec simplicité et énergie que tout homme, quelles que soient ses convictions personnelles, porte en lui l’image de Dieu et mérite donc le respect.

C’est également au nom de  l’engagement de l’Eglise en faveur de la défense et de la promotion des droits de l’homme  que je m’étais autorisé à dire lors de la clôture de l’année pastorale écoulée, qu’il s’agit pour nous de comprendre qu’avec Dieu, nous devons toujours accepter d’aller en eau profonde, de comprendre que pour vivre ensemble, il faut prendre la décision de ne faire à personne ce que nous ne voulons pas que l’on nous fasse à nous-mêmes, d’où le  choix du thème suivant pour cette année pastorale nouvelle que le Seigneur nous offre: Pour vivre en communion,  faites aux autres, ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous. Cf. Mt. 7, 12’’ Fin de citation.

Voici l’état des lieux tel que je l’ai décrit l’an dernier. Mais des faits nouveaux s’y sont ajoutés et que j’ai décrit par ailleurs dans l’appel au respect du droit dans la concertation du 31 août dernier. Quels sont ces faits additionnels ? J’avais relevé ce jour-là ‘‘que la vie socio-politique de notre pays aborde un virage dangereux. Au fur et à mesure que s’approche l’échéance des élections présidentielles, force nous est donné de constater la radicalisation des positions de part et d’autre…

Certains citoyens ont pris les rues pour appeler au respect de la Constitution, qui, selon eux, venait d’être violée. D’autre ont pris à contrepied ces manifestations. Cette situation a conduit à des violences inacceptables. Des citoyens d’un même pays, armés de gourdins, de pierres, de machettes et d’armes à feu, se sont livrés à des massacres d’un autre âge, causant, comme il fallait s’y attendre, des morts et d’innombrables blessés, sans compter des dégâts matériels.

Devant un tel spectacle désolant et déshonorant pour notre pays et pour l’Afrique, peut-on honnêtement rester inactif et passif, pour ne pas dire indifférent? Peut-on garder le silence et laisser le présent et l’avenir de notre pays être dévorés par l’épée et le feu ?… On ne le dira jamais assez, il n’y a pas de paix sans justice et il n’y a pas de justice sans pardon. Voilà ce que je veux rappeler à ceux qui ont entre leurs mains le sort de nos populations, afin que dans les choix graves et difficiles qu’ils doivent faire,ils se laissent toujours guider par la lumière du bien véritable de l’homme, dans la perspective du bien commun…

Comment peut-on s’accommoder d’une telle tragédie, au point de ne pas s’indigner devant une violence qui a pris l’allure d’une norme ?… La Côte d’Ivoire notre pays, est un pays de dialogue par tradition. Rappelons-le-nous ! Ne mettons pas le dialogue sous éteignoir pour emprunter des chemins qui n’honorent pas notre cher pays. Tout dialogue suppose deux individus ou des groupes d’individus. Tout dialogue implique le courage de regarder l’autre en face pour entrer en communication avec lui. L’on ne peut dialoguer sans faire un pas pour rejoindre l’autre. J’invite instamment tous les ivoiriens à renouer avec le dialogue pour que la parole, respectueuse des différences, prenne le pas sur les velléités d’embraser le pays…

La réconciliation est, nous le croyons tous, l’acte qui, après une crise, permet aux antagonistes de se retrouver et de repartir sur de nouvelles bases. Sans elle, aucune cohésion sociale n’est possible, puisque la rancœur, blottie dans notre subconscient, n’attend qu’une occasion pour refaire surface et briser la  cohésion sociale tant recherchée.

Vous conviendrez avec moi qu’un environnement délétère n’augure rien de bon quant à l’organisation des élections. Comment, en effet, dans une ambiance perturbée par des récriminations et des malentendus autour des questions fondamentales, pourrait-on aller à des élections dignes de ce nom ? En vérité, la réconciliation est plus importante que les élections. Voilà pourquoi, il est totalement erroné de penser qu’il suffit d’organiser des élections, d’en déclarer un  vainqueur, pour que les cœurs meurtris soient guéris et que la paix s’installe. J’ose encore une fois nous supplier : laissons-nous réconcilier les uns avec les autres ! Tout le reste ira de soi.

L’un des moyens pour aller à la réconciliation, est le respect des lois que l’on se donne bien plus que les élections. C’est ici que la maxime latine prend tout son sens : « Dura lex, sed  lex : la loi est dure mais c’est la loi ». Cette pensée invite au respect de la loi même quand elle nous contrarie et va à l’encontre de nos intérêts du moment. Des explications des rédacteurs de la Constitution ont été suffisamment abondantes et partagées avec la population. De même, des communications par l’exécutif sur les sites officiels ont été faites pour expliquer la Constitution.

A notre avis, il ne devrait pas avoir de lectures différentes, sources des affrontements actuels. Malheureusement la loi fondamentale de notre pays semble nourrir les violences, en ce que des écoles d’interprétations s’opposent et influencent la population qui s’engouffre dans des actes de revendications ou contre-revendications violentes. Pour ma part je crois que de tels conflits ne devraient pas avoir leur raison d’être.

En tout état de cause, qu’il me soit permis d’inviter tous les ivoiriens à  emprunter les chemins scientifiques pour sortir de cette crise née de la  compréhension de la loi qui fonde toutes les autres. Cela ne peut se faire à coup d’invectives, de machettes et de canons. En parlant de chemins scientifiques, je fais ici référence aux intellectuels, hommes de science capables d’indépendance intellectuelle et d’exégèse méthodique des textes, et notre pays n’en manque pas, pour que la lecture de sa loi fondamentale soit livrée à des courants politiques, au point qu’elle signifie à la fois une chose et son contraire, selon l’intérêt que l’on défend. A quoi servirait une boussole qui indique un jour le Nord, et un autre jour le Sud, selon les lunettes que l’on porte ?

La loi fondamentale, qui peut être regardée comme une boussole, ne peut signifier, à la fois, une chose et son contraire. Je voudrais inviter les uns et les autres à aller au dialogue et à la concertation, dans la recherche de solutions à cette crise qui  n’augure pas d’un lendemain meilleur quant à l’organisation paisible des élections. J’insiste encore une fois pour vous rappeler que le respect de la loi est plus important que les élections.

La loi fondamentale de la Côte d’Ivoire s’ouvre par la reconnaissance des droits, des libertés et des devoirs par l’État (Cf art 1). Quel commentaire en faire sinon que, pour le législateur, ce triptyque forme un corps dont découle tout le reste. Le droit, les libertés et devoirs sont primordiaux dans toute société moderne, et l’État de Côte d’Ivoire s’est engagé à prendre les mesures pour son application effective. Les évènements de ces jours-ci laissent entrevoir que  beaucoup restent à faire dans le rappel à tous des droits, des libertés et des devoirs, des individus et des collectivités. Cela ne peut se faire que loin des bruits d’intérêts électoralistes.

Seule la recherche du bien commun permettra à l’Etat et à ceux qui l’incarnent d’aider les citoyens à la connaissance et au respect des droits, des libertés et des devoirs de tous. Si le droit de la personne humaine, en général, et à la vie en particulier, est inviolable (Cf art 1-2), l’on ne peut le sacrifier sur l’autel des intérêts particuliers et des élections censées nous apporter la paix et le développement. Ma conviction profonde reste que le respect des lois est plus important et honore plus que la victoire à une élection.

Il est de notoriété que la force de la loi est et sera toujours à préférer à la loi de la force. Le premier est un chemin vers la paix dans le respect des droits, des libertés et des devoirs quand le second lui, est une voie qui éloigne de nous la paix et installe le désordre. Puissions-nous, dans un esprit civique et de concertation, donner à la loi toute sa force pour qu’elle nous aide à vivre dans la justice, la réconciliation et la paix, en vue d’une  organisation consensuelle d’élection sans violence.’’ Fin de citation. Oui aujourd’hui ,le désordre s’est installé.Voici l’état des lieux tel qu’il se présente à notre analyse. Il rejoint d’une certaine manière ce que disaient déjà les Pères du premier synode sur l’Afrique : ‘‘une situation commune est, sans aucun doute, le fait que l’Afrique est saturée de problèmes : dans presque toutes nos nations, il y a une misère épouvantable, une mauvaise administration des rares ressources disponibles, une instabilité politique et une désorientation sociale. Le résultat est sous nos yeux : misère, guerres, désespoir. Dans un monde contrôlé par les nations riches et puissantes, l’Afrique est pratiquement devenue un appendice sans importance, souvent oublié et négligé par tous.’’ Exhortation Apostolique Post-Synodale Ecclesia in Africa du Saint Pape Jean Paul II, n°40.

Devons-nous nous résigner face à ce constat à la fois triste et alarmant ? Faudrait-il accuser Dieu de tous nos maux ? Faudrait-il désespérer des hommes nos frères ? Ma conviction est et restera toujours la même : de même que Dieu ne désespère pas de nous, moi non plus, je ne désespère pas des hommes mes frères. Je reste convaincu que nous pouvons, avec la grâce de Dieu et en prenant davantage conscience que si nous savons vraiment aimer l’homme, non pas comme un simple moyen, mais comme un premier terme dans la montée vers le terme suprême et transcendant, vers le principe et la cause de tout amour, nous parviendrons à nos fins. Et c’est pour parvenir à ces fins, que j’ai décidé de la reconduction du thème de notre année pastorale 2019-2020 pour cette année 2020-2021.

II- Pour vivre en communion,  faites aux autres, ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous. Cf. Mt. 7, 12

‘‘Une Afrique qui avance, joyeuse et vivante, manifeste la louange de Dieu… C’est pourquoi, aujourd’hui encore, une des tâches essentielles de l’Église est de porter le message de l’Évangile au cœur des sociétés africaines, de conduire vers la vision de Dieu. Comme le sel donne goût aux aliments, ce message fait des personnes qui en vivent, d’authentiques témoins. Tous ceux qui grandissent de cette manière deviennent capables de se réconcilier en Jésus-Christ. Ils deviennent des lumières pour leurs frères. Ainsi…, j’invite « l’Église […] en Afrique à être témoin dans le service de la réconciliation, de la justice et de la paix, comme “sel de la terre” et “lumière du monde” », pour que sa vie réponde à cet appel : « Lève-toi, Église en Afrique, famille de Dieu, parce que le Père céleste t’appelle ! » Exhortation Apostolique Post-Synodale Africae Munus du Pape Benoît XVI, n°15.

La réponse à cet appel de Dieu à se lever indique bien l’action qui doit être la nôtre dans le monde de ce temps ! Cette action à mener est subordonnée à un véritable acte de foi des disciples du Christ, tant la foi se présente comme ce supplément d’énergie dont ils ont besoin, s’ils veulent répondre à leur vocation d’être “sel de la terre” et “lumière du monde” pour leurs concitoyens. En effet, de même que nul ne peut dire que Jésus est Seigneur sans la foi, de même, toute action, notre action à nous, si elle n’est pas mue et soutenue par notre foi en Jésus-Christ, sera difficile à accomplir.

  1. Au commencement était la foi.

‘‘Un jour, les Apôtres dirent au Seigneur : augmente en nous la foi. Le Seigneur répondit : la foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : déracine-toi et va te planter dans la mer ; il vous obéirait.’’ Lc.17, 5-6 Dans cet extrait, il faut se répéter que Jésus ne cherche certainement pas à nous décourager dans des activités qui concernent l’annonce de l’évangile !

Augmente en nous la foi : cette prière, c’est bien souvent la nôtre surtout quand nous prenons conscience de notre faiblesse, de notre impuissance et qu’il nous semble que si nous étions plus riches de foi, nous serions plus efficaces ! A la vérité, la réponse de Jésus veut signifier que nous n’avons pas besoin d’avoir beaucoup de foi et que rien qu’une graine de moutarde, minuscule, suffirait pour faire des choses apparemment impossible. L’invitation cachée derrière ces mots, c’est que désormais, rien ne doit nous décourager, qu’aucune situation n’est définitivement perdue ; et donc qu’il n’est pas question de rendre notre tablier !

La foi est donc nécessaire, elle qui nous découvre des possibilités nouvelles. Dès lors, quand les épreuves nous accablent, gardons-nous une foi suffisante dans le Seigneur ? Quand une décision difficile s’impose à nous, gardons-nous toujours la même confiance en Dieu ? Quand nous avons l’impression que l’autre, sujet et objet de mon attention et de mon agir dépasse les bornes,  gardons-nous une foi suffisante au Christ ? En considérant tout ce qui nous  contrarie dans notre marche à la suite du Christ, que nous dit notre foi ? Je crois que l’acte de croire est toujours le fait d’un engagement de notre liberté et chacun ne peut parler de la foi aux autres qu’à l’intérieur de son propre acte de croire. Ainsi, nous pouvons donner le témoignage personnel de notre foi !

La foi par définition, c’est la confiance mise dans une personne, dans son engagement, dans sa parole donnée. Elle suggère davantage l’objectivité d’un lien avec une personne que la subjectivité d’une croyance en quelque chose. Dans la Bible, la foi est la source et le centre de toute la vie religieuse. Au dessein que Dieu réalise dans le temps, l’homme doit répondre par la foi. C’est bien le cas d’Abraham quand Dieu lui demande de quitter sa terre en Chaldée en lui promettant une nombreuse descendance (Gn.12). Contre toute vraisemblance et malgré son âge avancé, Abraham croit en Dieu et en sa Parole, il obéit à cette vocation et engage ainsi son existence sur cette promesse. Au jour de l’épreuve, sa foi sera capable de sacrifier le fils en qui se réalise déjà cette promesse (Gn.22).

A l’exemple d’Abraham et de Moïse, les prophètes pour leur part, plaçaient à la base de leur vie, la foi en Dieu, en leur vocation et en leur mission. Même si leur foi était d’emblée inébranlable, il arrivait parfois qu’elle hésitait à s’affirmer devant l’épreuve d’un appel trop exigeant (Jr.1) ou d’une apparente absence de Dieu (1R.19) avant de parvenir à une définitive fermeté. Cette foi des prophètes rayonnait dans un groupe plus ou moins large de disciples et d’auditeurs (Is.8, 16 ; Jr. 45). Elle apparaissait ainsi de plus en plus comme un engagement et une attitude personnels qui rassemblaient déjà le Reste annoncé par les prophètes.

Dans le Nouveau Testament, de nombreux textes font références à des actes de foi qui ont littéralement séduit le Christ dans des causes qui semblaient perdues d’avance: que ce soit le centurion romain, cet homme étranger à la foi mais qui vient demander à Jésus une guérison pour son serviteur malade (Lc.7, 6,9), ou encore la femme qui perdait du sang, se faufilant dans la foule pour aller toucher le manteau du Christ (Lc.8, 43-48), ou enfin la cananéenne qui fait preuve de persévérance et d’humilité pour sa fille tourmentée par un démon (Mt.15, 21-28).

La foi finalement, qu’elle soit imparfaite comme chez Zacharie ou  exemplaire comme chez la Vierge Marie, doit pouvoir nous rassembler et même nous orienter d’une certaine manière autour de Jésus, venu parmi nous en notre humanité ! Elle doit pouvoir nous constituer ainsi en communauté de vie, communauté dont le lien, plus précieux que tout, est la foi en Lui et en sa Parole. Et c’est cette foi agissante qui sera à même de faire tenir jusqu’au bout les engagements qui sont les nôtres à la suite du Christ !

La foi est donc capable de nous elever dans nos relations interpersonnelles. Comme dit le Pape François, ‘‘la foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer. De la foi en Dieu, qui a créé l’univers, les créatures et tous les êtres humains – égaux par Sa Miséricorde –, le croyant est appelé à exprimer cette fraternité humaine, en sauvegardant la création et tout l’univers et en soutenant chaque personne, spécialement celles qui sont le plus dans le besoin et les plus pauvres.’’ Pape François, Avant-propos du document sur la Fraternité Humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune (Voyage apostolique aux Emirats Arabes Unis, 3-5 février 2019)  

S’il est vrai que la règle qui voudrait que je fasse aux autres ce que j’aurais voulu qu’ils fassent pour moi relève du bon sens pour un mieux vivre en société, reconnaissons que c’est la foi qui anime le chrétien qui lui permet d’aller au-delà du bon sens pour agir différemment au nom de Dieu en qui il croit mais surtout en qui il a foi ! Comment alors concrètement faire aux autres ce que je voudrais qu’ils fassent pour moi ?

2. Pour vivre en communion, faites aux autres, ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous !

Mais qui sont les autres ? La question est importante quand on sait que depuis quelques décennies, chez nous en Côte d’ivoire comme dans certains pays, le problème du rapport à l’autre est de plus en plus crucial et de plus en plus complexe parce que l’altérité ne cesse de croître en quantité, en variété et en intensité. Qui sont donc ceux à qui je dois faire ce que je veux qu’ils fassent pour moi ?

Le Pape François a cette belle réponse : ‘‘je ne peux pas réduire ma vie à la relation avec un petit groupe, pas même à ma propre famille, car il est impossible de me comprendre sans un réseau de relations plus large : non seulement mon réseau actuel mais aussi celui qui me précède et me façonne tout au long de ma vie. Ma relation avec une personne que j’apprécie ne peut pas méconnaître que cette personne ne vit pas seulement à cause de ses liens avec moi, ni que moi je ne vis pas uniquement en référence à elle. Notre relation, si elle est saine et vraie, nous ouvre à d’autres qui nous font grandir et nous enrichissent.’’

Le sens social le plus noble est aujourd’hui facilement réduit à rien en faveur  des liens égoïstes épousant l’apparence de relations intenses. En revanche, l’amour authentique, à même de faire grandir, et les formes les plus nobles d’amitié résident dans des cœurs qui se laissent compléter. Le fait de constituer un couple ou d’être des amis doit ouvrir nos cœurs à d’autres cercles pour nous rendre capables de sortir de nous-mêmes ,de sorte que nous accueillions tout le monde. Les groupes fermés et les couples autoréférentiels, qui constituent un ‘‘nous’’ contre tout le monde, sont souvent des formes idéalisées d’égoïsme et de pure auto-préservation.

Ce n’est pas pour rien que de nombreuses petites villes survivant dans les zones désertiques ont développé une capacité généreuse d’accueil des pèlerins de passage et ont forgé le devoir sacré de l’hospitalité. Les communautés monastiques médiévales en ont également fait montre, comme en témoigne la Règle de saint Benoît. Même si cela pouvait compromettre l’ordre et le silence des monastères, Benoît exigeait que les pauvres et les pèlerins soient traités « avec le plus grand soin et la plus grande sollicitude ». L’hospitalité est une manière concrète de ne pas se priver de ce défi et de ce don qu’est la rencontre avec l’humanité, indépendamment du groupe d’appartenance. Ces personnes comprenaient que toutes les valeurs qu’elles pouvaient cultiver devaient s’accompagner de cette capacité à se transcender dans une ouverture aux autres. Lettre Encyclique Fraterlli Tutti du Saint Père François,  (n°89 et 90).

C’est donc dire que nous ne pouvons pas nous satisfaire d’un groupe, d’un clan ,d’un cercle, car aussi large que puisse être sa circonférence, ce cercle exclura toujours des personnes ! Il s’agit de comprendre que c’est notre intérêt de voir large dans l’action que nous devons mener. Brasser large, c’est se dire que  ‘‘faire aux autres ce que je veux qu’ils fassent pour moi’’, suppose de conformer mon agir à l’égard d’autrui sur ce que j’attendrais moi-même de sa part.

Le Pape François ne dit pas autre chose quand il affirme que : ‘‘la vraie sagesse suppose la conformité avec la réalité. Mais aujourd’hui tout peut être produit, dissimulé, altéré. De ce fait, la confrontation directe avec les limites de la réalité devient intolérable. En conséquence, on met en place un mécanisme de ‘‘sélection’’ et s’instaure l’habitude de séparer immédiatement ce que j’aime de ce que je n’aime pas, ce qui est attrayant de ce qui est laid. En suivant la même logique, on choisit les personnes avec qui on décide de partager le monde. Ainsi, les personnes ou les situations qui ont blessé notre sensibilité ou nous ont contrariés sont aujourd’hui tout simplement éliminées dans les réseaux virtuels ; il en résulte un cercle virtuel qui nous isole du monde dans lequel nous vivons. Lettre Encyclique Fraterlli Tutti du Saint Père François,  (n°47)

Il s’agit en d’autres mots, d’inverser les rôles entre l’agent et le patient, entre moi qui agis et celui qui est le destinataire de mon action : le principe en est de ‘‘se mettre à la place de l’autre’’ et d’y ressentir les conséquences de mon action du côté de celui qui la subit, ce qui peut déboucher sur deux types de formulations, reposant soit sur l’empathie, soit sur l’équité.

  • La règle d’empathie, ‘‘ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas subir’’ ou ‘‘traite les autres comme tu voudrais être traité’’, est la forme la plus fréquente. Elle vise à retourner et convertir notre égoïsme originel, nos désirs et nos craintes, dans la prise en compte des autres comme ‘‘ego’’ aussi importants et uniques que nous.
  • La règle d’équité, qui est une autre forme de cette même règle d’or, retourne contre nous et sur nous les jugements de valeur portés sur les autres. Elle vise ainsi à tester l’universalité de la maxime qui inspire notre action : ‘‘Ce que tu reproches à autrui, ne le fais pas toi-même’’ ‘‘Comme tu juges qu’autrui devrait agir à ton égard, agis toi-même vis-à-vis de lui.’’

Mais l’empathie et l’équité sont-ils suffisants du point de vue de notre foi et dans le contexte qui est le nôtre ? Comme le fait remarquer le Pape Benoît XVI, ‘‘sur le plan social, la conscience humaine est interpellée par de graves injustices existant dans notre monde, en général, et à l’intérieur de l’Afrique, en particulier. La confiscation des biens de la terre par une minorité au détriment de peuples entiers, est inacceptable parce qu’immorale. La justice oblige à « donner à chacun son bien propre » – ius suum unicuique tribuere. Il s’agit donc de rendre justice aux peuples.

L’Afrique est capable d’assurer à tous les individus et à toutes les nations du continent les conditions élémentaires qui permettent de participer au développement. Les Africains pourront ainsi mettre les talents et les richesses que Dieu leur a donnés au service de leur terre et de leurs frères. La justice, vécue dans toutes les dimensions de la vie, privée et publique, économique et sociale, a besoin d’être soutenue par la subsidiarité et la solidarité, et encore plus d’être animée par la charité. « Selon le principe de subsidiarité, ni l’État ni aucune société plus vaste ne doivent se substituer à l’initiative et à la responsabilité des personnes et des corps intermédiaires ».

La solidarité est garante de la justice et de la paix, de l’unité donc, de sorte que « l’abondance des uns supplée au manque des autres ». Et la charité qui assure le lien avec Dieu, va plus loin que la justice distributive. Car si « la justice est la vertu qui distribue à chacun son bien propre […] ce n’est pas la justice de l’homme, celle qui soustrait l’homme au vrai Dieu’’ Africae Munus 44

Faire aux autres ce que nous voulons qu’ils fassent pour nous, participe donc non seulement de la justice mais également de la solidarité indispensables à toute vie en société. Comme je le disais l’an dernier, ‘‘a-t-on raisonnablement le droit d’être heureux tout seul ou seulement avec les membres de son clan ? Le bonheur à tout prix mille prix, est-il réellement un bonheur ? Est-on véritablement heureux quand on a spolié, déshérité, calomnié, dénigré, volé son frère ?… Tous nous savons que ceux qui aspirent à une vie paisible et heureuse savent qu’un rien, un accident, une maladie peut détruire leur bonheur ! Améliorer un peu les choses et pourquoi pas grandement, cela est possible si chacun de nous comprend que son aspiration au bonheur est toute aussi légitime que celle de son frère et que par conséquent, il ne devrait pas avoir de raison à le traiter de manière à ce qu’il finisse comme un indigent !’’ Fin de citation.

Il nous faut accepter que c’est ensemble, dans la conjugaison de nos efforts, sans tout attendre des autres uniquement, que nous parviendrons à ce nouveau contrat social. L’Exhortation Apostolique Africae Munus va dans ce sens quand elle affirme ceci : ‘‘Il ne fait pas de doute que la construction d’un ordre social juste relève de la compétence de la sphère politique. Cependant, une des tâches de l’Église en Afrique consiste à former des consciences droites et réceptives aux exigences de la justice pour que grandissent des hommes et des femmes soucieux et capables de réaliser cet ordre social juste par leur conduite responsable. Le modèle par excellence à partir duquel l’Église pense et raisonne, et qu’elle propose à tous, c’est le Christ. Selon sa doctrine sociale, « l’Église n’a pas de solutions techniques à offrir et ne prétend “aucunement s’immiscer dans la politique des États”. Elle a toutefois une mission de vérité à remplir […] une mission impérative. Sa doctrine sociale est un aspect particulier de cette annonce : c’est un service rendu à la vérité qui libère.’’ Africae Munus 22

Former des consciences droites et réceptives aux exigences de la justice pour que grandissent des hommes et des femmes soucieux et capables de réaliser cet ordre social juste par leur conduite responsable, telle est l’un des objectifs que nous souhaitons atteindre pour le bonheur de notre pays et comme héritage aux générations à venir. Cela ne relève pas de l’utopie. J’ai foi en Dieu qui fait toute chose bonne en son temps. Mais ce serait un leurre que de croire que ce souhait ira dans sa réalisation sans heurts et que le découragement pourrait gagner l’un ou l’autre d’entre nous.

C’est ici que l’exemple que nous donne le Pape François pourrait s’avérer fort utile pour ceux qui auraient fini par se décourager. En effet, il nous invite à recommencer : ‘‘chaque jour, une nouvelle opportunité s’offre à nous, nous entamons une nouvelle étape. Nous ne devons pas tout attendre de nos gouvernants ; ce serait puéril. Nous disposons d’un espace de coresponsabilité pour pouvoir commencer et générer de nouveaux processus et transformations. Soyons parties prenantes de la réhabilitation et de l’aide aux sociétés blessées. Aujourd’hui, nous nous trouvons face à la grande opportunité de montrer que, par essence, nous sommes frères, l’opportunité d’être d’autres bons samaritains qui prennent sur eux-mêmes la douleur des échecs, au lieu d’accentuer les haines et les ressentiments.

Comme pour le voyageur de notre histoire qui passait par hasard, il suffirait juste d’être animé du désir spontané, pur et simple de vouloir constituer un peuple, d’être constant et infatigable dans le travail d’inclure, d’intégrer et de relever celui qui gît à terre ; même si bien des fois ,nous nous sentons débordés et condamnés à reproduire la logique des violents, de ceux qui ne s’intéressent qu’à eux-mêmes, qui ne répandent que confusion et mensonges. Que d’autres continuent à penser à la politique ou à l’économie pour leurs jeux de pouvoir ! Quant à nous, promouvons le bien et mettons-nous au service du bien !

Il est possible, en commençant par le bas et le niveau initial, de lutter pour ce qui est le plus concret et le plus local, jusqu’à atteindre les confins de la patrie et du monde, avec la même attention que celle du voyageur de Samarie pour chaque blessure de l’homme agressé. Cherchons les autres et assumons la réalité qui est la nôtre sans peur ni de la souffrance ni de l’impuissance, car c’est là que se trouve tout le bien que Dieu a semé dans le cœur de l’être humain. Les difficultés qui semblent énormes sont une opportunité pour grandir et non une excuse à une tristesse inerte qui favorise la soumission.

Mais ne le faisons pas seuls, individuellement. Le Samaritain a cherché un hôte qui pouvait prendre soin de cet homme ; nous aussi, nous sommes invités à nous mobiliser et à nous retrouver dans un ‘‘nous’’ qui soit plus fort que la somme de petites individualités. Rappelons-nous que « le tout est plus que la partie, et plus aussi que la simple somme de celles-ci ». Renonçons à la mesquinerie et au ressentiment des replis sur soi stériles, des antagonismes sans fin ! Cessons de cacher la souffrance causée par les préjudices et assumons nos crimes, nos discordes et nos mensonges ! La réconciliation réparatrice nous ressuscitera et nous délivrera, aussi bien nous-mêmes que les autres, de la peur.

Le Samaritain en voyage est parti sans attendre ni remerciements ni gratitude. Le dévouement dans le service était sa grande satisfaction devant son Dieu et sa conscience, et donc, un devoir. Nous sommes tous responsables du blessé qui est le peuple lui-même et tous les peuples de la terre. Prenons soin de la fragilité de chaque homme, de chaque femme, de chaque enfant et de chaque personne âgée, par cette attitude solidaire et attentive, l’attitude de proximité du bon Samaritain. Lettre Encyclique Fraterlli Tutti du Saint Père François, sur la Fraternité et l’Amitié sociale (n°77-78-79).

Faire aux autres ce que nous voulons qu’ils fassent pour nous est exigeant. Mais dans le sillage du Pape François, et face à ce que nous vivons dans notre pays, j’ai envie de dire que ‘‘nous sommes tous responsables du blessé qui est le peuple [ivoirien]. Prenons soin de la fragilité de chaque homme, de chaque femme, de chaque enfant et de chaque personne âgée, par cette attitude solidaire et attentive, l’attitude de proximité du bon Samaritain.’’ Et comme je le fais à chaque rentrée pastorale , je voudrais vous lancer ces appels qui sont un rappel de ce que je vous disais l’an dernier, pour tenir compte de l’année étriquée que nous avons vécue.

III-Appels

  1. A mes frères prêtres

Il me plait ici de commencer par vous féliciter pour les initiatives heureuses que vous avez déployés pour faire vivre les célébrations eucharistiques à vos fidèles, soit par le canal des réseaux sociaux, soit par petits groupes pour ensuite élargir ces moments d’exception quand nous sommes revenus à la normale . Merci pour votre ingéniosité pastorale. Merci pour la générosité dont vous avez fait montre, chacun à son rythme il est vrai, pour soutenir la foi de vos fidèles. Mais nous devons aller plus en avant parce que la situation interne du pays l’exige mais surtout parce que le Christ notre Maître et Seigneur nous le commande.

Avant tout propos, je voudrais  souhaiter, comme je l’ai déjà dit lors de la messe chrismale, qu’après avoir revisité les promesses de nos engagements envers le Seigneur, de tout mettre en œuvre pour rendre effectif l’appel au réarmement moral et spirituel des prêtres que nous sommes ! Je ne vous apprends rien en vous disant que nous vivons à l’heure des réseaux sociaux, un véritable voyeurisme des temps nouveaux, où  chaque acte posé, chaque parole prononcée, chaque geste est épié et grossi volontairement à souhait, avec des desseins parfois bien malveillants ? Nous avons une responsabilité et elle est grande : vivre toujours plus unis au Seigneur Jésus pour lui ressembler en paroles et en actes !

Encore une fois, ne craignons pas d’entreprendre, avec la confiance en Dieu et beaucoup de courage, un choix missionnaire capable de transformer toute chose, afin que les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toute structure ecclésiale devienne un canal adéquat pour l’évangélisation du monde actuel, plus que pour l’auto-préservation.’’ Lettre du Pape François à l’occasion du centenaire de la promulgation de la lettre apostolique ‘‘Maximum Illud’’

L’invitation que je vous avais fait que chacun de nous veille sur la vie et le ministère de son confrère, je la réitère encore cette année : les aînés dans le sacerdoce, les vicaires généraux, épiscopaux et les curés doyens, veilleront à ce que s’installent entre nous, de vraies relations de fraternité, de solidarité et de partage. Peut-être, faudra-t-il instaurer un cadre de réflexion et d’accompagnement générationnel et qui consisterait à se retrouver en promotion pour nous parler régulièrement ?

L’invitation à ‘‘faire aux autres ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous’’ doit trouver chez vous un écho particulier. J’insiste pour dire que les médisances, les calomnies, les ambitions personnelles démesurées ainsi que les jugements erronés sur les autres nos confrères nous discréditent à un plus haut point. Je vous en conjure, cette année, prêchez pour vous-mêmes avant tout, il y va de la crédibilité de notre presbyterium et de l’annonce de la Parole dont nous sommes les intendants.

Comme l’an dernier, j’accueillerai avec bienveillance toutes les initiatives pastorales qui viseraient un meilleur vécu de ce thème. Je vous exhorte à être pour vos fidèles, les premiers à vivre de ce thème. Trop de reproches nous sont faits quant à notre ponctualité, à notre façon d’accueillir nos fidèles, à nos célébrations qui sont tout sauf priantes et recueillies !

C’est donc un véritable cri de cœur que je vous lance : nos fidèles ont de plus en plus soif de Dieu et attendent de nous une action, celle que nous-mêmes aurions aimé avoir en pareille circonstance. L’état permanent de mission dont parle le Pape François, c’est celui qui trouve également son origine dans le fait que ‘‘… partout dans le monde, même après la chute des idéologies qui avaient fait du matérialisme un dogme et du rejet de la religion un programme, se diffuse une sorte d’athéisme pratique et existentiel qui coïncide avec une vision sécularisée de la vie et du destin de l’homme. Cet homme « tout préoccupé de lui-même, cet homme qui se fait non seulement centre de tous les intérêts, mais ose se dire le principe et la raison de toute réalité », se trouve toujours plus dépourvu du « supplément d’âme » qui lui est d’autant plus nécessaire qu’une plus grande disponibilité de biens matériels et de ressources lui donne l’illusion de l’autosuffisance. On n’a plus besoin de combattre Dieu, on se passe tout simplement de lui.’’ Pastores dabo vobis 1 § 6

C’est à nous de montrer le chemin de Dieu à nos frères. Vous veillerez à faire en sorte que l’hymne retenue pour soutenir notre année pastorale soit connue de tous : chorales et fidèles. Je vous confie tous, dans cette mission, en ces heures particulières, à l’intercession bienveillante de la Vierge Marie, mère du Christ, mère des prêtres.

2. Aux religieux et religieuses

‘‘Le grand risque du monde d’aujourd’hui, avec son offre de consommation multiple et écrasante, est une tristesse individualiste qui vient du cœur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée. Quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la voix de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme de faire le bien ne palpite plus.’’ Evangelii Gaudium n°2

Imaginons ensemble une vie intérieure qui se ferme sur ses propres intérêts et où l’on n’écoute plus la voix de Dieu : on ne jouit plus de la douce joie de son amour et où l’enthousiasme de faire le bien ne palpite plus ! Quelle tristesse ! Quelle désolation ! Mais il y’a aussi des façons de penser et d’agir qui sont toutes aussi graves : croire que nous n’avons rien à offrir aux autres !L’an dernier, je vous faisais remarquer que votre vocation a cela de particulier que votre vie spirituelle doit se vouer également au bien de toute l’Église.

Ce bien de l’Eglise, c’est celui de l’harmonie qui doit régner entre nos concitoyens et que je vous recommande vivement dans vos prières. Enraciner et renforcer le règne du Christ dans les âmes suppose que vous aussi, vous ne soyez pas discrédités dans votre mission. A ce titre, dans vos différentes maisons communautaires, je vous exhorte vous aussi, à faire pour les autres, ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous. Comme dit le psalmiste, ‘‘ qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères d’être ensemble et d’être unis.’’ Vous l’aurez bien compris, il ne s’agit pas seulement d’être ensemble mais d’être unis en évitant de faire aux autres, ce que vous ne voulez pas qu’ils vous fassent.

Merci de nous indiquer toujours par votre agir que Dieu est élevé au-dessus de toutes les choses terrestres et qu’il est le bonheur auquel tous nous aspirons !

3. Aux fidèles laïcs du Christ et aux jeunes

La situation actuelle que traverse notre pays rend plus qu’urgente une action de votre part. Rappelez-vous encore mes propos à votre égard : l’heure est venue pour vous, au regard de l’état des lieux que j’ai brièvement dressé en début de mes propos, de prendre ou de reprendre la place qui est la vôtre dans l’annonce de l’évangile du Christ. La recherche du bonheur et d’un mieux-être sont légitimes mais tous les moyens pour y accéder ne sont pas licites et vous le savez ! Le monde des affaires est impitoyable parfois, mais je reste convaincu que l’évangile a toute la force d’y pénétrer si vous le voulez bien, avec la force que donne le Saint Esprit !

L’appel à faire aux autres ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous est un excellent exercice spirituel dans votre marche à la suite du Christ ! Il m’est arrivé de constater, sans porter de jugement, qu’en face de certaines situations où les enjeux financiers étaient importants, votre foi au Christ a été rapidement mise sous le boisseau. Laissez-moi vous le redire : on ne peut pas être chrétien les jours pairs, et le contraire les jours impairs ! Certaines luttes entre vous, si elles sont compréhensibles ne doivent pas être l’occasion où tous les coups sont permis, au point de se demander si nous avons affaire à des croyants ! Je vous en conjure, au nom du Seigneur, ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu’ils fassent pour vous !

Pour terminer, je voudrais que vous compreniez que ‘‘le cheminement vers la paix n’implique pas l’homogénéisation de la société ; il nous permet par contre de travailler ensemble. Il peut unir un grand nombre de personnes en vue de recherches communes où tous sont gagnants. Face à un objectif commun déterminé, il est possible d’apporter diverses propositions techniques, différentes expériences et de travailler au bien commun.

Il faut essayer de bien identifier les problèmes que traverse une société pour accepter qu’il existe diverses façons de voir les difficultés et de les résoudre. Le chemin vers une meilleure cohabitation implique toujours que soit reconnue la possibilité que l’autre fasse découvrir une perspective légitime, au moins en partie, quelque chose qui peut être pris en compte, même quand il s’est trompé ou a mal agi. En effet, « l’autre ne doit jamais être enfermé dans ce qu’il a pu dire ou faire, mais il doit être considéré selon la promesse qu’il porte en lui » promesse qui laisse toujours une lueur d’espérance.’’ Fraterlli Tutti n° 228

4. Aux acteurs politiques et aux gouvernants

Cette année encore, je voudrais rappeler à vos mémoires, les différents appels que je n’ai eu de cesse de vous adresser. Savez-vous que la politique dans notre pays fait peur ? Le constat fait par le Pape François pourrait s’appliquer malheureusement à vous : ‘‘la meilleure façon de dominer et d’avancer sans restrictions, c’est de semer le désespoir et de susciter une méfiance constante, même sous le prétexte de la défense de certaines valeurs. Aujourd’hui, dans de nombreux pays, on se sert du système politique pour exaspérer, exacerber et pour polariser.

Par divers procédés, le droit d’exister et de penser est nié aux autres, et pour cela, on recourt à la stratégie de les ridiculiser, de les soupçonner et de les encercler. Leur part de vérité, leurs valeurs ne sont pas prises en compte, et ainsi la société est appauvrie et réduite à s’identifier avec l’arrogance du plus fort.

De ce fait, la politique n’est plus une discussion saine sur des projets à long terme pour le développement de tous et du bien commun, mais uniquement des recettes de marketing visant des résultats immédiats qui trouvent dans la destruction de l’autre le moyen le plus efficace. Dans ce jeu mesquin de disqualifications, le débat est détourné pour créer une situation permanente de controverse et d’opposition.’’ Lettre Encyclique Fraterlli Tutti du Saint Père François, sur la Fraternité et l’Amitié sociale (n°15).

Pendant combien de temps allons-nous avoir peur des élections dans notre pays avec leurs lots de morts, de violence, de destruction des biens, d’intimidation, de transhumance ? Pourquoi, dans notre pays et en politique, les amis d’hier deviennent des ennemies aujourd’hui ? Que des ennemis hier deviennent des amis aujourd’hui, quel bonheur ! Mais cette amitié est-elle sincère et vraie ? Quel est l’enjeu de vos batailles ? Diriger la Côte d’Ivoire ? Pour cela, est-il besoin que le pays soit mis à feu et à sang à chaque joute électorale? Vous considérez-vous encore comme des frères ?

 

Que pensez-vous de ce que dit le Pape François concernant les systèmes politiques ? Je le cite : ‘‘dans ces conflits d’intérêts qui nous opposent tous les uns aux autres, où gagner devient synonyme de détruire, comment est-il possible de lever la tête pour reconnaître son voisin ou pour se mettre du côté de celui qui est tombé en chemin ? Un projet visant de grands objectifs pour le développement de toute l’humanité apparaît aujourd’hui comme un délire. Les distances entre nous augmentent, tout comme la marche, difficile et lente vers un monde uni et plus juste, subit un recul nouveau et drastique.’’ Fraterlli Tutti n° 16-17

 

Savez-vous que nos populations vivent dans la hantise parce que chaque petit heurt débouche sur des conflits et que tout se règle désormais dans la violence ? Dans notre pays, n’est-il pas possible de faire la politique autrement ? Serait-il possible aujourd’hui encore, comme une charte que je vous propose, que chacun de vous décide de faire aux autres ce qu’il veut qu’on fasse pour lui ? Mieux, serait-il possible que chacun de vous ne fasse pas aux autres ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui fasse ? Faites donc aux autres ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous !

5. Aux forces de défenses et de sécurité

L’an dernier, je vous faisais remarquer que votre rôle est délicat dans le maintien de l’ordre dans nos états, et cela s’est vu encore une fois à la faveur des élections présidentielles qui viennent de s’achever dans les situations que tous nous connaissons ! Des pères et des mères de famille ont peur qui pour un époux, un frère, un ami ! La répression terminée, que vous reste-t-il ? Regagner vos domiciles avec la conscience du devoir accompli ? Mais comment ?

L’an dernier, je vous faisais remarquer que vous êtes, vous aussi, des acteurs importants dans la vie de notre patrie. Pour des forces de défenses et de sécurité, vous devez pouvoir inspirer confiance aux populations dont vous avez la garde. J’encourage les efforts que année après année, vous faites pour vous rendre plus proches de vos frères et sœurs. Comme pour les autres, des ambitions légitimes vous habitent et c’est votre droit. Mais ce droit doit-il s’exercer au détriment de vos différents corps d’arme, au point de susciter de la méfiance entre  vous ?

Avec force, je vous invite dans l’exercice de vos missions, à vous laisser rejoindre par la parole de Dieu : ‘‘ne faites pas aux autres, ce que vous ne voulez pas qu’ils vous fassent !’’ Notre pays a trop souffert de ses crises à répétition ! Faites aux autres, ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous !

6. Aux hommes de médias

Dans sa Lettre encyclique portant sur la Fraternité et l’amitié sociale, le Pape parle de l’illusion de la communication. Je le cite : ‘‘ paradoxalement, alors que s’accroissent des attitudes de repli sur soi et d’intolérance qui nous amènent à nous fermer aux autres, les distances se raccourcissent ou disparaissent au point que le droit à la vie privée n’existe plus. Tout devient une sorte de spectacle qui peut être espionné, surveillé et la vie est soumise à un contrôle constant. Dans la communication numérique, on veut tout montrer et chaque personne devient l’objet de regards qui fouinent, déshabillent et divulguent, souvent de manière anonyme. Le respect de l’autre a volé en éclats, et ainsi, en même temps que je le déplace, l’ignore et le tiens à distance, je peux sans aucune pudeur envahir sa vie de bout en bout.

D’autre part, les manifestations de haine et de destruction dans le monde virtuel ne constituent pas – comme certains prétendent le faire croire – une forme louable d’entraide, mais de vraies associations contre un ennemi. Par ailleurs, « les médias numériques peuvent exposer au risque de dépendance, d’isolement et de perte progressive de contact avec la réalité concrète, entravant ainsi le développement d’authentiques relations interpersonnelles ».

Des gestes physiques, des expressions du visage, des silences, le langage corporel, voire du parfum, le tremblement des mains, le rougissement, la transpiration sont nécessaires, car tout cela parle et fait partie de la communication humaine. Les relations virtuelles, qui dispensent de l’effort de cultiver une amitié, une réciprocité stable ou même un consensus se renforçant à la faveur du temps, ne sont sociales qu’en apparence. Elles ne construisent pas vraiment un ‘‘nous’’ mais d’ordinaire dissimulent et amplifient le même individualisme qui se manifeste dans la xénophobie et le mépris des faibles. La connexion numérique ne suffit pas pour construire des ponts, elle ne suffit pas pour unir l’humanité. Fraterlli Tutti n° 42-43

Je me répète encore une fois : votre travail est trop noble et à ce titre, il convient qu’en interne et peut-être entre différentes rédactions, vous preniez les mesures nécessaires pour jouer pleinement votre partition dans la marche de notre beau pays. La dépénalisation des délits de presse si elle est une bonne chose, ne vous autorise pas à toute sorte de dérive non plus ! Au nom de vos frères et sœurs qui habitent ce pays, je vous exhorte vous aussi : ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse ! Faites donc aux autres ce que vous voulez qu’ils fassent pour vous !

III. Conclusion

C’est le Cardinal Robert SARAH qui disait que ‘‘lorsque l’homme communique un bien, celui-ci sort de son cœur, comme une source d’eau qui se répand autour de lui. Le bien augmente à mesure qu’on le donne. A contrario, il s’affaiblit dans le refus de partager.’’ C’est aussi ma conviction. Il nous faut communiquer le bien autour de nous et de manière la plus large possible mais en identifiant les causes profondes de nos égoïsmes.

Pour le Pape François, ‘‘ «parmi les causes les plus importantes de la crise du monde moderne se trouvent une conscience humaine anesthésiée et l’éloignement des valeurs religieuses, ainsi que la prépondérance de l’individualisme et des philosophies matérialistes qui divinisent l’homme et mettent les valeurs mondaines et matérielles à la place des principes suprêmes et transcendants ». Il est inadmissible que, dans le débat public, seuls les puissants et les hommes ou femmes de science aient droit à la parole. Il doit y avoir de la place pour la réflexion qui procède d’un arrière-plan religieux, recueillant des siècles d’expérience et de sagesse.

Nous, croyants, nous pensons que, sans une ouverture au Père de tous, il n’y aura pas de raisons solides et stables à l’appel à la fraternité. Nous sommes convaincus que « c’est seulement avec cette conscience d’être des enfants qui ne sont pas orphelins que nous pouvons vivre en paix avec les autres » ’’ Fraterlli Tutti n° 275

Tel est le vœu mais aussi telle est la prière que je forme pour chaque habitant de notre très cher et beau pays la Côte d’Ivoire. Bonne rentrée pastorale à tous ! Paix et bien à notre cher pays la Côte d’Ivoire et à tous ceux qui l’habitent !

 

+ Jean Pierre Cardinal KUTWÃ

Archevêque Métropolitain d’Abidjan