Ma rencontre avec Dr Ghoulem BERRAH, Conseiller spécial du Président Félix Houphouët Boigny

 

Témoignage :

Ma rencontre avec Dr Ghoulem BERRAH,

Conseiller spécial du Président Félix Houphouët Boigny

El Hadj D. OTHMAN

 

Un après-midi, de Mai 1988, je reçu un coup de fil du chargé de Mission du Ministre des Mines et des Hydrocarbures, Yed Essai Angoran où je venais tout juste de prendre fonction comme jeune ingénieur de pétrole formé en Arabie Saoudite. Le cabinet du Ministre était au 15e étage de l’immeuble Sciam. Le chargé de mission me fit savoir que le Ministre veut me recevoir le lendemain à 10h en présence d’un Conseiller du Président de la République Félix Houphouët Boigny qui a un message à faire passer. Le chargé de mission que je connaissais très bien rajouta qu’il ne connaissait ni le conseiller en question, ni le sujet qui serait abordé. Lui aussi, il était un peu préoccupé. Car c’est grâce à lui après Dieu, que je suis rentré dans ce Ministère. Quant à moi, j’avais déjà entendu parler dans le cercle de la communauté musulmane de la Riviera, d’un conseiller arabe du Président Houphouët qui s’intéressait aux activités des cadres musulmans. Aussitôt, j’informai le Président de la Communauté Musulmane de la Riviera (CMR), Thiam Mokodou et un autre membre influent de la CMR, Touré Vassiriki. Oustaz Fofana l’un de nos encadreurs spirituels, avec les imams Tidiane BAH et Mohammed Lamine CAMARA fut immédiatement informé. Celui-ci recommanda une lecture complète du Saint Coran afin que l’audience se passe très bien. Pour les responsables de la CMR, le sujet devait probablement avoir un rapport avec mes activités au sein du groupe. Car j’avais été chargé, après une étude méticuleuse sur la répartition des lieux de culte libres dans la commune de Cocody de prospecter des lieux de cultes dans les nouveaux lotissements de cette commune. Cette étude faisait ressortir que sur plus de trente lieux de culte à Cocody, il n’y avait qu’une seule mosquée et une mosquée de fortune. En conséquence, l’étude recommandait d’explorer les voies et moyens pour rattraper ce retard qui à l’avenir pourrait être préjudiciable à la cohabitation religieuse et source potentielle de frustration pour les musulmans.

Donc mon travail constituait à rechercher partout les lieux de culte prédéfinis par les services du Ministère de la construction.

Mais malheureusement, tous les lieux de culte étaient systématiquement pris par l’Eglise Catholique, mieux organisée dans le foncier. Hélas au détriment non seulement de la communauté musulmane, mais aussi des autres obédiences chrétiennes non catholiques. Malgré cette difficulté de taille, cela ne me décourageait pas, d’autant plus que j’avais reçu les consignes fermes de négocier au besoin les prix d’achats si nécessaire. Pour se faire, je devais me rapprocher, de la direction des Grands Travaux qui avait un rôle important dans la vente des terrains. Là-bas j’ai découvert que les terrains de culte étaient vendus au franc symbolique de dix mille franc (10000). Donc il fallait être vigilant et très bien introduit. J’ai eu cette chance, et surtout j’avais pu nouer une grande amitié avec le Directeur des ventes de l’époque, un français du nom de KENING. Ainsi grâce à lui, j’ai pu réserver plusieurs terrains de culte dans la commune de Cocody à acquérir au franc symbolique ou acheter. Evidement cet activisme n’était pas apprécié de tous.

Aussi quand  en ce jour saint de vendredi, l’assistante du Ministre Yed m’invita à entrer dans le bureau du patron, j’avais déjà une idée des questions probables que poserait le conseiller du président HOUPHOUET: qui vous êtes ? Qui vous a envoyé ? qui vous a donné les moyens pour avoir autant de terrains ? etc… et peut être au bout, des remontrances et des sanctions de ma hiérarchie.. Tout ces optionst sur la table. Cependant j’avais une certaine assurance. Car chaque fois que je pensais à la solidarité manifestée la veille  de la rencontre de la  part de la communauté de la Riviera et aux prières de Oustaz Fofana, je me sentais en mission pour défendre une cause juste et utile non seulement à ma communauté mais aussi à mon pays, un pays démocratique  multiconfessionnel et multiculturel, où chacun doit se sentir à l’aise. Pour éviter les frustrations inutiles dans une nation multiconfessionnelle en construction.

Après les salutations d’usage, le Ministre Yed demanda les nouvelles au Conseiller spécial du Président de la République.

L’air renfrogné et presque menaçant, Dr BERRAH déclara : ″Monsieur le Ministre, ce jeune homme a reçu de l’argent de Kaddaffi pour acheter des terrains et construire des mosquées à Cocody sans autorisation aucune. Alors il faut qu’il nous explique combien il a reçu et comment il a reçu ces sommes colossales ! ″ Le Ministre Yed avait déjà mes réponses à ces questions. Car son chargé de mission, Yaya Dembélé, avait pu organiser une petite séance avant l’arrivée du Conseiller du Président. D’ailleurs au cours de cette petite séance, Yed avait été convaincu de mes réponses, tant et si bien qu’il me recommanda à un pasteur de l’Eglise méthodiste pour lui expliquer ma stratégie. Ce que je fis volontairement. Car les lieux dans les lotissements de culte étaient systématiquement pris par l’église Catholique mieux outillée et organisée. A cause de cette situation l’ex Ministre Bamba VAMOUSSA de la construction et de l’urbanisme avait recommandé à ses services, qu’on ne mette plus sur les plans de lotissement simplement ″terrain de culte″, mais qu’on précise dorénavant lieu de culte Chrétien, ou lieu de culte musulman.

Afin de pouvoir répondre aux questions de Dr BERRAH, je m’étais bien préparé : les dossiers physiques et plusieurs copies de tous les terrains acquis, les payements effectués, leur emplacement et leurs superficies. Après mon exposé, Dr BERRAH demanda les copies des documents. Il les parcouru calmement sans broncher, pendant que le Ministre Yed, visiblement satisfait me regardait avec le sourire d’un patron quelque peu sauvé par son subalterne. Car à l’époque, être accusé d’avoir employé un ‘‘élément de Khadaffi’’ pouvait aller assez loin dans le monde politique des intrigues et des coups bas. Le Président Houphouët avait deux phobies : les communistes et le terrorisme arabo-islamique. Au nom de cela une suspicion générale pesait sur les musulmans notamment les cadres dont les faits et gestes étaient surveillés scrupuleusement. Et l’une des tâches de Dr BERRAH était de conseiller en la matière le Président Houphouët.

Après lecture de tous les documents il dit simplement’’ Monsieur le Ministre je prends acte et je vais en parler à qui de droit’’. Il demanda la route sans m’adresser la parole. Mais en gentleman, le Ministre YED pris le soin de nous laisser deux dans l’ascenseur.

Une fois dans l’ascenseur, Dr BERRAH me regarda avec un peu plus de sympathie puis me dit : ‘‘jeune homme, il faut qu’on travaille ensemble’’. Mais je lui répondis ‘‘Moi je travaille avec mes grands frères Thiam Mokodou et Touré Vassiriki… de la CMR. Ce sont eux qui m’envoient….’’. Il ajouta à la sortie de l’ascenseur ‘‘Bonne chance !  je vais leur en parler et on va travailler ensemble.’’

Effectivement Dr BERRAH a tenu parole et joua un rôle important dans la construction par Félix Houpouët Boigny de la première mosquée imposante commune de Cocody, celle de la Riviera Golf. Algérien d’origine, Dr BERRAH était un homme très  expérimenté, brillant médecin spécialiste de microbiologie et de cancérologie et enseignant à la fameuse faculté de YALE aux USA. Il a eu un destin ivoirien quand il rencontre Félix Houphouët à New York en 1962. Il a aimé la Côte d’Ivoire. Musulman pratiquant, avec Titi, son épouse Catholique toute dédiée à sa cause. Après Dieu, pour BERRAH, Houphouët était là. Et leur collaboration dura jusqu’à la mort du Président Houphouët en 1993. Soit trente années de vie commune.

Il savait Houphouët profondément Chrétien dans un pays où le nombre de musulmans était très important. Dès lors, il s’était donné la mission d’être un pont entre Houphouët Boigny et les musulmans. Par devoir religieux et souvent professionnel, il fréquentait les mosquées, les imams et les cadres musulmans. Il connaissait leurs sentiments de frustration qu’il tentait de tempérer. Par devoir professionnel, il se retrouvait dans un milieu de décideurs qui semblaient ignorer les sentiments de la communauté musulmane. Là-bas, le christianisme était considéré comme la ²religion d’Etat², dans un pays laïc. Et l’islam comme une religion étrangère, voir arabe. Une conception villageoise et tribale de la vie nationale.

BERRAH jusqu’à la mort de son chef, était écartelé entre ces deux mondes. Mais il était convaincu, que seul Houphouët avait la solution à ce problème latent. Et sur ce plan, BERRAH a réussi à rapprocher Houphouët des musulmans. Ainsi dans certains témoignages récents, Houphouët Boigny, le jour même du choix du terrain de la basilique à Yamoussoukro, aurait dit :  » après la basilique, je bâtirai en face, la plus grande mosquée d’Afrique pour concurrencer celle de mon ami, le Roi du Maroc ». Pour joindre l’acte à la parole, Houphouët offrit cinquante (50) hectares aux musulmans en face de la basilique. Le Grand Imam de Yamoussoukro sylla Youssouf témoigne ²c’était au lancement des travaux de la basilique. J’étais là. Houphouët a dit publiquement qu’il allait céder un terrain de 50 hectares pour la construction de la Grande Mosquée d’Afrique de l’Ouest. Mais l’espace a été utilisé et il ne reste que 20 hectares².

Une partie de ce terrain abrite aujourd’hui le cimetière musulman et le lycée confessionnel du Cosim en attendant la mosquée de rêve du Président Félix Houphouët Boigny dont le souci était de faire de Yamoussoukro la capitale du dialogue islamo-chrétien, pour lequel Dr BERRAH s’est tant battu. Ce qui lui a valu plein d’inimitiés dans l’entourage du chef de l’Etat ivoirien. Mais en ancien combattant des maquis algériens, il avait vu des difficultés plus grandes.  Il a tenu bon et mené le bon combat.

Un rêve pour la paix, titre de son volumineux mémoire de plus de 600 pages publiés en 2018 en témoigne largement.

Paix à son âme et courage à sa veuve Titi.